Sophie Endelys

J'ai tricoté mon existence avec les fils de ma honte.

Tout ce charabia sur la beauté intérieure est une invention des laides pour des laides.

N'est pire désespoir pour un génie que d'être le seul à le savoir.

Parfois, il ne faut pas tourner la page, il faut savoir la déchirer.

Je lis, je n'ai rien d'autres à faire. Lire est le plus délicieux des vices.

Lire est le plus délicieux des vices.

Depuis Proust, l'enfance tient dans une boîte de gâteaux secs

Cher maître,
Merci de m’avoir rassurée lors de notre voyage sur la confidentialité de nos échanges.
Voici trente-quatre ans, je quittais Bruxelles sans prévenir ni ma famille ni mes amis. Je vous épargne les détails de ce départ précipité dont les circonstances sont trop compliquées à expliquer.

J'excelle dans le désordre. Le contraste est saisissant entre la pièce qui me sert d'atelier et le cabinet de travail de Jeffrey (son mari). Chez lui, rien que du propre et du rangé, tandis que chez moi gît le Verdun des livres. C'est un maquis de bouquins entassés les uns sur les autres. Ici s'envole la conscience de l'homme.

Mon métier de bibliographe est riche en découvertes, souvent décevantes. Des incunables contrefaits, de fausses éditions originales, des apostilles falsifiées. (Mais) il m'était arrivé d'extraire de la reliure d'un in-folio du dixi-huitième une enluminure du treizième.
(...) Découvrir un écrit dont on ignore tout est pour moi aussi palpitant que les fouilles d'une cité antique pour un archéologue.

- La reliure est remarquable avec cette ferrure originale. Mais le plus étrange, c'est qu'il vient de Heldenskon.
- Heldenskon... Ce n'est pas l'île de ton père ?

— Un mariage, pourquoi diable ? A ton âge, on ne s’embarrasse pas d’un époux. Consomme-le, tu aviseras après.

Mais j’étais tombée amoureuse comme atteinte d’une maladie. Contre toute raison, contre mon gré. C’était ça ou périr. La passion était un océan dans lequel je plongeais sans retenue, sans me soucier de savoir si je surnagerais ou si je sombrerais.

Tout Ratio-stat était à la noce. Le président épousait la boiteuse, orpheline, riche d’héritage de parents morts. Un voilier pour dot, une maison pour foyer et déjà quelques mesquineries pour ordinaire. Le crépuscule du premier soir est arrivé trop tôt ou trop tard.

— Je suis content que ce cirque soit terminé.

— Quel cirque ?

— Ces cérémonies sont assommantes. Va dormir, Chloé, tu es épuisée.

— Vraiment ?

— Tu en as besoin. Tu es laide à faire peur.

— Mais, Jeffrey, je t’aime !

— Tant mieux, ça nous simplifiera la vie.

Tout en léchant ma cuillère, je raconte que la passion des livres est une addiction ruineuse qui tend à une quête jamais satisfaite de posséder le meilleur, l'original d'un auteur dont la pensée fait écho dans l'esprit des hommes Le bibliomane est bibliomaniaque.

J'aurais aimé être un ouvrage : le texte, le papier et la couverture. Rangée pour l'éternité sur des étagères, j'aurais existé grâce aux lecteurs. Certains auraient caressé la reliure, d'autres m'aurait dévorée avant de me livrer à d'autres anthropophages.

Le jet bouillant de la douche a un effet apaisant. La tension se relâche, mes nerfs se détendent. Yeux fermés, je reprends peu à peu mon équilibre. L'eau décrotte l'angoisse.

- C'est toujours ceux qui n'ont rien à dire qui parlent le plus.

Le succès c'est l'engrais de la jalousie.

Je suis archiviste-bibliographe spécialisée dans la numérisation de livres anciens. Je bosse généralement pour des bibliothèques et des musées. Je dresse parfois l’inventaire de successions ou de fonds de librairie. Ce n’est pas un métier, au mieux un passe-temps, me serinait Jeffrey, qui n’appréciait pas qu’on se laisse accaparer par des bouquins quand le ménage doit être fait, et les repas préparés. Selon lui, le rôle d’épouse est une occupation qui ne supporte aucun entracte.

Heldenskøn a le parfum des terres inexplorées, enveloppées de mystère. Cette île isolée entre la Manche et la mer du Nord évoque la houle, les embruns, les plages immenses. Je la connais comme tout le monde par les guides touristiques qui vantent ses centres de remise en forme. Heldenskøn est aussi une curiosité politique, un de ces micro-Etats non-membres de l’Union européenne autorisés à utiliser l’euro au même titre qu’Andorre, Monaco ou Saint-Marin. En dehors de ça, l’île est pour moi le ciel, la terre, la mer, l’infini ; une de ces merveilles que Dieu a faites avec du vert et du bleu, telle que Victor Hugo l’a décrite lors d’une courte escale.

J'aurais aimé être un ouvrage : le texte, le papier et la couverture. Rangée pour l'éternité sur des étagères, j'aurais existé grâce aux lecteurs. Certains auraient caressé la reliure, d'autres m'auraient dévorée avant de me livrer à d'autres anthropophages.