AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Stéphane Guégan (55)


Nul autre peintre que Gauguin n'aura autant bourlingué et fait entrer l'esprit de voyage, et le choc des cultures que celui-ci favorise, dans le langage des formes. Cette double nécessité l'apparente aux poètes qu'il a adulés, le Mallarmé de "Brise marine", le Rimbaud du "Bateau ivre" et, en premier lieu, le Baudelaire des "Fleurs du mal" en sa créolité obsessionnelle. Marin, Gauguin l'est jusqu'au bout des ongles, et tous les témoignages, des Américains de Pont-Aven à l'ami Van Gogh, s'accordent à le peindre en termes irréconciliables, doux et rude, noble et malsain, subtil et obscène, capable de citer la Bible, Shakespeare ou Verlaine comme de chanter à tue-tête les rengaines les plus salées. Sexe facile, nostalgie profonde et recherche de l'imprévu soudent ensemble les exilés de haute mer...

En guise de départ (p. 7)
Commenter  J’apprécie          120
Depuis l'Antiquité, le monde pleure sa jeunesse. Le sentiment que la civilisation est un progrès et une perte, inséparablement, a engendré très tôt la nostalgie des sociétés que l'on dit moins avancées, primitives, pour le meilleur et pour le pire.

Etrange Cythère (p. 131)
Commenter  J’apprécie          110
La série des "Nymphéas" a-t-elle vraiment fait entrer Monet dans le XXème siècle ? Ont-ils servi, ces lents nénuphars, de pont, de cheval de Troie à cet artiste qu'on pouvait croire parvenu, vers 1900, au terme de sa carrière, au bout de son inspiration ? La question mérite d'être posée, elle doit même s'entendre doublement. Il faut en effet se demander si Monet eut conscience que l'époque qui allait s'ouvrir appelait de sa part un changement d'orientation, au moins de nouvelles explorations formelles, de nouveaux sujets. Mais on doit aussi se demander dans quelle mesure l’impressionnisme pouvait encore être perçu comme moderne, en prise sur le monde et l’imaginaire contemporains, par les artistes qui venaient à maturité autour de 1900.

"Monet raconté"
Commenter  J’apprécie          100
Le beau est fait d'un élément éternel, invariable, dont la quantité est excessivement difficile à déterminer, et d'un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l'on veut, tour à tour ou tout ensemble, l'époque, la mode, la morale, la passion.

Charles Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne 1863.
Commenter  J’apprécie          90
Le Salon de 1859 offre surtout à Baudelaire l'occasion de raconter sa visite de l'atelier de Boudin, effectuée lors de séjours récents, à Honfleur, auprès de sa mère, de janvier à mars et de mai à juin.
C'est peut-être par l'entremise de Courbet, alors en Normandie, qu'il entra en rapport avec l'enfant du pays. Ni ce dernier ni Boudin n'ont raconté cette visite au cour de laquelle le poète découvrit "plusieurs centaines d'études au pastel improvisées en face de la mer et du ciel", autant de preuves que le vrai paysagiste n'abolit jamais la différence qui sépare le tableau des notes hâtivement prises sur le motif. Baudelaire souligne d'abord le dévouement du peintre d'Honfleur à son art.
[...] "Plus tard, sans aucun doute, il nous étalera, dans des peintures achevées, les prodigieuses magies de l'air et de l'eau. Ces étonnantes études, si rapidement et si fidèlement croquées, d'après ce qu'il y a de plus inconstant, de plus insaisissable dans sa forme et dans sa couleur, d'après des vagues et des nuages, portent toujours, écrites en marge, la date, l'heure et le vent; ainsi, par exemple : 8 octobre, midi, vent de nord-ouest. Si vous avez eu quelquefois le loisir de faire connaissance avec ces beautés météorologiques, vous pourriez vérifier par votre mémoire l'exactitude des observations de M. Boudin. La légende cachée avec la main, vous devineriez la saison, l'heure et le vent. Je n'exagère rien. J'ai vu. À la fin tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, suspendues et ajoutées les unes aux autres, ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisselants de métal fondu, toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs, me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l'éloquence de l'opium. [...]" (Charles Baudelaire)

Nouvelle vague (p. 118-119)
Commenter  J’apprécie          80
Les fenêtres dans les scènes d'intérieur de Caillebotte ne constituent pas seulement des foyers de lumière. Il semble s'être inspiré, tout en inversant le point de vue, du "Balcon" de Manet, lequel présente l'embrasure de la porte-fenêtre comme le seuil entre l'espace privé et le monde extérieur où l'on paraît en public. Caillebotte nous fait pénétrer dans l'intérieur bourgeois, et le motif de la fenêtre apparaît chaque fois pour marquer la frontière fragile entre l'intimité domestique et l'univers de la rue. (p. 62)
Commenter  J’apprécie          80
Plus largement, Gauguin, son art et ses écrits participent du grand sursaut antimoderne de la fin du XIXe siècle, qui passe au crible la domination que la technologie et l'argent commencent à exercer sur les hommes. Nous ne sommes pas sortis, à l'évidence, de l'urgence q'il y a à réconcilier, selon les termes mêmes de l'artiste voyageur, âge moderne et condition humaine.
Commenter  J’apprécie          70
Gauguin n'a cessé de rêver d'une Bretagne qui n'a jamais existé que dans sa peinture, d'un éden salé, peuplé d'êtres simples mais vrais, d'activités primitives, d'une ferveur religieuse que le peintre érige moins en modèle de piété qu'en exemple d'une psyché et d'une société épargnées par le désenchantement rationaliste moderne.

Arles ou l'oeil en rut
Le granit fait homme (p. 76)
Commenter  J’apprécie          70
1954, qui marque le début de la guerre d'Algérie, est aussi l'année de la mort d'Henri Matisse. En cette même année, Picasso a commencé ses "Femmes d'Alger", extraordinaire suite de variations d'après le chef-d'oeuvre de Delacroix. "Matisse en mourant m'a légué ses odalisques", déclare alors Picasso. La façon dont le plus illustre contemporain et rival de Matisse revendique l'héritage d'un motif expressément orientaliste, fût-ce sur le ton de la boutade, souligne le sentiment assez général que Matisse est le dernier représentant d'une tradition inaugurée, dans la période moderne, par Delacroix. On perçoit l'ambiguïté de l'hommage de Picasso, l'odalisque étant surtout associée, comme on le sait, aux simulacres d'Orient mis en scène par Matisse dans sa "période niçoise" (vers 1917-1930), alors que cet emblème d'un fantasme européen tenace reste notoirement absent de toutes ses peintures directement ou indirectement inspirées par ses séjours en Algérie ou au Maroc. L'empreinte de l'Orient a fini par imprégner l'oeuvre tout entier de Matisse, l'érigeant en exemple d'un orientalisme "moderniste", avec toutes les nuances que les historiens anglo-américains ont pu donner à ce mot. (p. 257)
Epilogue, l'Orient de Matisse, Deepark Ananth
Commenter  J’apprécie          60
L'importance de Guillaumet (1840-1887) a été très vite reconnue dans la seconde dynastie de ces peintres qui allaient affirmer l'orientalisme comme genre et comme vocation. A la première et célèbre triade, mise en place par Fromentin lui-même, celle de Decamps, Marilhat, Delacroix, succède bientôt celle, adoubée par Léonce Bénédite dès 1887 et Jean Alazard en 1930, des Fromentin, Belly et Guillaumet. Parmi ses pairs, Guillaumet s'impose comme celui des trois qui, par "la recherche de l'exactitude dans le caractère local, la volonté de résoudre le problème de la lumière solaire dans ses états normaux, dans ses excès ou dans ses effets indirects, est venu apporter la formule définitive". (L'Artiste, 1839, p. 289)
Gustave Guillaumet, le peintre de l'Algérie naturaliste, Bruno Foucart, (p. 181)
Commenter  J’apprécie          60
La grande particularité de Courbet est que malgré son profond enracinement dans son terroir de France-Comté et surtout dans son village d'Ornans, il n'a jamais été considéré comme un peintre folkloriste. Causant un scandale en étalant sur grand format les us et coutumes de sa région, il imposa d'emblée son talent révolutionnaire, et infléchit dans son sens l'art de son temps.
Les Francs-comtois formaient clan à Paris, au XIXe siècle, depuis que Charles Nodier, né à Besançon, avait ouvert son salon de l'Arsenal à ses compatriotes. Ils étaient fiers de compter dans leurs rangs Proudhon et tant d'autres phares de l'époque. Victor Hugo lui-même qui, né par hasard à Besançon, se proclama toujours du pays. La petite commune d'Ornans s'enorgueillit elle aussi à la fois d'un passé de liberté et de privilèges, et d'une tradition républicaine.

1876 - [p. 88]
Commenter  J’apprécie          60
Car l'important n'est pas de coller à l'époque, encore faut-il en traduire artistiquement la spécificité, à distance de la banale chronique ou du pittoresque lénifiant. Il en résulte la fameuse définition qui appelle à sublimer le présent sans l'idéaliser : "Le beau est fait d'un élément éternel, invariable, dont la quantité est excessivement difficile à déterminer, et d'un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l'on veut, tour à tour ou tout ensemble, l'époque, la mode, la morale, la passion." (Baudelaire, Le peintre de la vie moderne, 1863)

Irrésistible Manet, p. 133
Commenter  J’apprécie          50
La représentation définitive d'une certaine sauvagerie bretonne se fixe au cours des années 1820-1830 dans le reflux mélancolique de la "mort des provinces" qu'a entraîné l'invention révolutionnaire du département. Face aux chantres d'une région fidèle à ses traditions, perpétuant des Celtes la piété, l'indépendance politique et l'effusion poétique, toute une littérature d'esprit rousseauiste ou d'inspiration plus noire insiste sur les traits typiques de la région, coiffe, pardon, calvaire, etc. Flora Tristan comptait parmi ces exaltés de la celtitude. D'autres, comme Souvestre, Brizeux, Flaubert, Renan ou Barrès, ont prolongé et favorisé cet imaginaire de l'Arcadie bretonne, joyeuse ou triste, mais pure et saine, jusqu'à Gauguin.

Premières poussées d'ailleurs
Certitude, celtitude (p. 50)
Commenter  J’apprécie          50
Mais le peintre de Sardanapale ne fut pas le seul à exploiter cette iconographie du Harem lascif, de la femme offerte au regard, de la clôture transgressée. Sous l’impulsion de la conquête récente de l’Algérie, le thème a été décliné sous tous les modes et tous les formats dans les années 1830-1880, se chargeant ici de rêverie indolente, de mystère diffus, de « haut parfum de mauvais lieu » (Baudelaire) ou de franche vulgarité, pareille à celle de ces gravures qui après 1830 mettent aux prises le soldat à tempérament et la femme soumise à l’uniforme tricolore.
Souvent raciste et dégradante par son comique troupier, cette imagerie à précédé de quelques années la toile de Delacroix qui en prend le contre-pied mais préserve, voire multiplie, la séduction d’un espace fermé, saturé de couleurs, désormais pénétrable.
Le plus beau tableau du monde [« Les femmes d’Alger »], Stéphane Guégan, (p. 35-36).


Commenter  J’apprécie          50
Et contre ceux qui accusent Corot de "gaucherie" et d'exécution fautive, Baudelaire retourne l'accusation : "Braves gens ! qui ignorent d'abord qu'une oeuvre de génie - ou si l'on veut - une oeuvre d'âme - où tout est bien vu, bien observé, bien compris, bien imaginé - est toujours très bien exécutée quand elle l'est suffisamment. - Ensuite - qu'il y a une grande différence entre un morceau fait et un morceau fini - qu'en général ce qui est fait n'est pas fini, et qu'une chose très-finie peut n'être pas faite du tout - que la valeur d'une touche spirituelle, importante et bien placée est énorme... etc... etc... d'où il suit que M. Corot peint comme les grands Maîtres." (p. 42)

(Charles Baudelaire, Salon de 1845)
Commenter  J’apprécie          40


Véritable éphéméride, cet ouvrage raconte jour après jour la vie, les réalisations des créateurs, pris dans le maelström de la Seconde Guerre mondiale. Malgré ce drame collectif, malgré la censure, malgré les restrictions, la qualité de la création française de cette époque est stupéfiante : Matisse, Braque, Clouzot, Guitry, Claudel, Camus … Un récit passionnant avec en filigrane, l’éternelle question de la posture des artistes face à l’occupant.
Commenter  J’apprécie          40
Pauvres pays secoués par de grandes dates historiques !
Milan Kundera, L'ignorance, 2003

Les Miroirs voilés, Malek Alloula, (p. 29)
Commenter  J’apprécie          40
Le regard de Dauzats construit les images et les recompose à partir de réalités différentes. Le romantisme est dans la manière de sentir les lieux, d'apprécier un édifice, son inscription dans le paysage, et de transmettre ce sentiment par un jeu d'ombre et de lumière ou par un trait de crayon léger ou renforcé. L'orientalisme est dans le recours au motif mauresque, aux objets et aux sujets locaux. Le réalisme est dans la fidélité de la description des paysages représentés. Ces trois caractères rassemblés chez Dauzats expliquent en partie l'avantage que peuvent avoir des militaires à se faire accompagner dans une expédition où chaque lieu traversé nécessite une description, et où chaque monument remarquable requiert une illustration fidèle, afin d'en avoir, une fois de retour en France, l'idée la plus exacte possible mais aussi la plus attrayante.
Paysage et patrimoine, lieux et monuments de l'Algérie dans les années romantiques, Nabila Oulebsir, (p. 104)
Commenter  J’apprécie          40
Plus qu'aucune autre terre orientale, l'Algérie fait naître l'urgence du Sud, ainsi décrite par Maupassant à propos de son premier séjour en 1881, dans une approche contemporaine de celle de Renoir mais opposée : "Dès qu'on a mis le pied sur cette terre africaine, un besoin singulier vous envahit, celui d'aller plus loin, au sud [...]. Le Sud ! Quel mot rapide, brûlant ! Le Sud ! Le feu ! Là-bas, au Nord, on dit, en parlant des pays tièdes : "le Midi". Ici, c'est le "Sud" ." Là plus qu'ailleurs se trouve l'esprit de la "Barbarie" ancienne, dont le souvenir de Jugurtha peut être un emblème. Pour les voyageurs, tels que Flaubert qui y passe en 1858, Constantine est "le pays de"Jugurtha" et le poème en vers latins composé en 1869 par le jeune Rimbaud, alors externe au collège de Charleville, montre l'actualité de cette figure que semble réincarner Abd el-Kader : "Il est né dans les montagnes arabes un enfant, qui est grand ; et la brise légère a dit : Celui-là est le petit-fils de Jugurtha !".
L'Au-delà du cadre, Christine Peltre, (p. 26-27)
Commenter  J’apprécie          40
"Ce que je désire, c'est un coin de moi-même encore inconnu".
Quiconque veut aujourd'hui comprendre Gauguin doit commencer par admettre le sens de ses départs successifs, le besoin de se rendre étranger à soi, autant qu'il se peut, au contact de sociétés suffisamment différentes de ce qu'il quitte, le temps du voyage, pour donner corps à l'impensé et l'"invu".
Commenter  J’apprécie          30



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Stéphane Guégan (140)Voir plus

Quiz Voir plus

Autobiographies de l'enfance

C’est un roman autobiographique publié en 1894 par Jules Renard, qui raconte l'enfance et les déboires d'un garçon roux mal aimé.

Confession d’un enfant du siècle
La mare au diable
Poil de Carotte

12 questions
4 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *} .._..