Stéphane Soutoul

Bonnes ou mauvaises, on ne devrait jamais laisser des habitudes nous mettre le grappin dessus et nous conforter dans un bien-être illusoire. Pourquoi ça ? Tout simplement parce qu’on se trouve pris au dépourvu lorsque les hasards de la vie – et ces derniers finissent toujours par survenir tôt ou tard sans crier gare – chamboulent irrémédiablement notre quotidien.

Je suis née guerrière et je combattrai en tant que telle jusqu’à mon dernier souffle, sans jamais courber l’échine ni me résoudre à la défaite. Il reste maintenant à espérer que ma détermination sera suffisante pour protéger ceux que j’aime.

Comme dans une pièce de théâtre, le dernier acte de mon existence est sur le point de commencer. Et j’avoue que, pour la première fois depuis des siècles, je découvre ce qu’est la peur, la vraie.

Une crainte insidieuse qui vous dévore de l’intérieur.

Une crainte qui, tel un réseau sanguin, s’étend à toutes les âmes précieuses qui font battre mon cœur.

Pour elles, je n’hésiterai pas une seconde à décapiter cette garce de Némésis si l’occasion se présente, même si son exécution doit entraîner ma propre perte.

Comme l’a dit un jour un grand philosophe : on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs !

Une question me harcèle sans répit : pourquoi ceux que j’aime sont-ils systématiquement obligés de mettre leur vie en péril à un moment donné ? Est-ce ma malchance légendaire qui déteint sur eux ?

Comprenez-moi bien : je suis loin d’être une froussarde. Je n’ai jamais eu peur de me battre ou d’affronter les plus sombres menaces, même lorsque toutes les statistiques se liguent contre moi. Cependant, je me refuse à affronter un proche qui m’est cher, quel qu’en soit le motif. Surtout que Nathan n’est pas animé par de mauvaises intentions, j’en suis convaincue. Il s’est vu enrôlé de force aux côtés de la créature qui aspire à l’éradication de toute forme de vie. Aussi perfide que maléfique, Némésis a contraint le lycéen à rejoindre sa cause en emprisonnant l’âme de Sandy, sa petite sœur, dans un orbe ensorcelé.

Le jeune homme fait partie des êtres humains qui m’ont le plus touchée, qui ont su éveiller en moi un flot de tendresse complexe à définir et m’ayant transformée pour toujours. Il arrive quelquefois que la pureté d’une personne nous déstabilise, nous donne envie de devenir meilleurs en nous inspirant un besoin instinctif de veiller sur elle.

Que l’on soit un humain ou une créature surnaturelle, la famille entraîne toujours des querelles dont on se dispenserait aisément.

À chacun son jardin secret. Libre à vous de me trouver excessivement pudique, mais gare à celui ou celle qui osera me traiter de fleur bleue. Il y a des limites qu’il est préférable de ne pas franchir. Et puis, il n’y a aucun mal à se réconcilier sur l’oreiller, si ?

Contrairement aux apparences, ce n’était pas une balade entre copines qui m’avait amenée à Paris. Si vous croyez que la goule attachée à Nolhan et moi vadrouillions ensemble dans la capitale française pour faire du lèche-vitrines, vous vous trompez lourdement.

C’est une loi universelle bien connue : Dame Nature prend un malin plaisir à nous torturer en rendant insupportables les mecs les plus canons.

Nos retrouvailles ont d’abord été tendues, pour ne pas dire houleuses, bien que Paris soit réputée être la ville du romantisme. Eh oui, cela m’arrive parfois de faire des infidélités au Canada pour parcourir le monde, même s’il me faut prendre en compte les aléas du transfert d’âme.

À présent, ma priorité est de défendre coûte que coûte les gens qui m’ont élevée en m’offrant un nouveau foyer que j’aime autant que mes propres sœurs. Je préfère ne pas imaginer la réaction d’Allison et de Teddy s’ils découvraient que leur unique enfant, la prunelle de leurs yeux, était en réalité une créature immortelle en quête de chair et de sang. Le sceau de certains secrets ne doit jamais être brisé.

Un jeu de dupes plus délicat qu’il n’y paraît au premier abord, car j’ai la fâcheuse manie d’accumuler une montagne d’embrouilles ces temps-ci. Avec moi, un obstacle anodin pour n’importe qui d’autre se transforme en un véritable parcours du combattant.

Lorsque notre petit univers s’écroule autour de nous, la vie dans son ensemble nous apparaît alors plus que jamais incertaine, terriblement précaire. J’ai enduré des épreuves douloureuses jusqu’à présent, mais je vous fais grâce du récit détaillé concernant les tragédies qui me sont tombées dernièrement sur la tête. Loin de moi l’idée de vous saper le moral ou de pleurnicher plus que de raison. Après tout, je ne suis pas la seule nana que la vie s’amuse à enquiquiner à longueur de journée. Plutôt que de me répandre en larmes, j’ai toujours préféré rendre la monnaie de leur pièce aux crétins mal inspirés qui me cherchent des noises. Que ces derniers soient des vampires, des sorciers, des démons… peu importe : mes ennemis finissent toujours par se brûler les ailes à mon contact !

Au fur et à mesure que la porteuse du parfum progressait, la beauté latine de cette dernière ne cessait de s'affirmer. Longue crinière de jais bouclée assortie à des yeux sombres surmontés de longs cils.
Une séduction affirmée et saillante, aguicheuse.

Paul avait tout d'un aventurier : il était d'une nature impétueuse, avide de sensations fortes. Partir à la découverte de nouveaux peuples, de contrées aux splendeurs insoupçonnées représentait la raison de son existence. Le contraire de Gérald. Celui-ci aimait lire, apprendre et comprendre. L'expression « rat de bibliothèque » dont il aimait l'affubler par pure taquinerie prenait avec lui toute sa dimension.

Aimer les petites choses offertes par la vie était encore le meilleur moyen de ne pas sombrer dans la démence. Les occasions où goules et vampires s'acharnaient à lui donner du fil à retordre faisaient partie de son quotidien. Il avait toujours réussi à relativiser ses déconvenues avec ironie.

Pour ces gars-là, la simple existence de votre couple constitue la pire des hérésies. Des voix firent écho à la nuit et à son silence. Bientôt, les assassins qui avaient dévasté le prieuré de Sainte-Rosière en massacrant ses occupants seraient là.

De sa vie, elle n'avait jamais baissé les bras ! Elle tenterait l'impossible pour leur filer entre les doigts ou en dernier recours, perdrait la vie en affrontant ses tortionnaires. Relevant les jupons en coton de sa chemise de nuit, elle tira sur le bras de Norman afin de se replier le plus possible à l'arrière du cimetière. Les cryptes massives et ouvragées pourraient peut-être leur faire gagner de précieuses minutes. Néanmoins, la jeune femme eut toutes les peines du monde à faire réagir son compagnon. Ce dernier se tenait immobile, sans trahir la moindre réaction.

Elle parlait peu, faisait preuve d'une courtoisie stricte et dépourvue de chaleur. Puis, de sourires chastes en œillades complices, les discussions entre les deux jeunes gens devinrent plus fréquentes. Leurs sentiments s'affinèrent et une complicité naturelle naquit bientôt de cette proximité. Norman écoutait les confidences lâchées du bout des lèvres par la maîtresse de maison, avec toujours un mot pour la réconforter lorsque les tracas de son quotidien la submergeaient. Parfois même à force d'insistance, le chasseur de vampires parvenait à convaincre la demoiselle de l'accompagner au théâtre. Le but inavoué était alors de passer un peu de temps ensemble plus que d'assister à une représentation sur scène. De l'ébauche de cette relation tumultueuse, émergea une amitié providentielle qui ne tarda pas à se muer en un amour sincère au fil des semaines.

Elle cherchait une épaule pour reposer sa peine, lui ne put résister à la pureté azurée du regard de son hôtesse. Ils s'étaient entrevus en de rares occasions durant leur enfance, mais n'avaient jamais eu l'occasion de se côtoyer de près.