VLEEL 230 Rencontre littéraire avec Stéphanie Boulay, A l'abri des hommes et des choses
- Pourquoi Titi les bipèdes sont mauvais ?
- Parce qu'ils sont tristes.
- Et ils veulent rendre toutes les personnes comme eux, Titi ?
- Ils veulent des fois que tout devienne noir comme leur manteau noir de peine.
Parfois, je crois qu'il faut savoir endormir ses soucis comme des bébés qui pleurent pour les remettre à plus tard, parce que d'autres choses pressent encore plus et que, de toute façon, la nuit porte conseil et efface souvent des tristesses qu'on pensait qu'elles ne s'en iraient jamais.
À notre arrivée à la demeure, elle s'est enfermée sans dire un mot, elle a cadenassé la porte et ne répondait plus à mes tristesses. J'ai bien tout essayé, j'ai crié JE TE QUITTE DE CE PAS, je suis revenue en m'excusant, j'ai mis un plat de macaronis devant la chambre et je me suis cachée en attendant qu'elle sorte. Ensuite j'ai mis une lettre d'affection qui disait je t'aime sous la porte, ensuite j'ai glissé chaque macaroni un à un sous la porte, ensuite j'ai balayé le plancher avec mes cheveux, ensuite j'ai pleuré des larmes à terre avec des vrais bruits de gouttes. Elle était le silence.
Où sommes-nous dans ce pays si lointain qu'il nous fait vivre les saisons à en crever ? Et qui nous a mis ici ?
Sûrement pas Dieu ni les deux autres parties de sa trinité.
( p 86)
... la douche (...) n'était pas pareille comme la nôtre et que je ne savais même pas comment la faire pleuvoir...
Jaune mon ami
le soleil de ma nuit
je t'aime.
J'aurais pu ajouter à l'infini, mais mon cœur, ça lui aurait pas fait du bien, c'était trop prévisible, que je trouvais. Titi aussi me l'a suggéré, sauf que que je ne pense pas que la poésie soit sa force, alors j'ai fait à ma tête, même si je ne suis pas habituée à tenir à mes pensées. Elle a quand même épinglé le bleu près de la fenêtre et le jaune sur la porte du frigidaire, pour qu'il puisse nous dire bon matin le matin, et pour qu'on se souvienne de remercier le soleil lorsqu'il est là. C'est vraiment important.
J'ai réfléchi et je crois que ce que je préfère dans le monde entier, c'est de faire quelque chose que je crois juste et bon. Quand ça m'arrive, mon corps se remplit de chaleurs inconnues qui explosent dans mon poitrail et me rendent comme, plus longue et légère sur mes Cannes, alors je donne des becs à Titi, je flatte ma branche, je me fais des couettes avec des crayons de bois, je crois aux magies vaudous et je veux en faire, je veux dire je veux en apprendre dans un livre avec des serpents et des prières chantées.
Quand ça m'arrive, je sens que je suis heureuse et que plus jamais rien ne me fera du mal.
Sauf que ca n'est jamais vrai.
Un jour, quand je serai vieille et blanche de la tête, je dirai à Titi ou à mes bébés à venir : quelqu'un d'autre a déjà habité à l'intérieur de moi pendant la nuit, quelqu'un qui me réveillait et me faisait faire des gestes qui pouvaient me tuer, mais je ne sais pas c'était qui ni comment il faisait car je dormais les yeux ouverts. Et ils sauront ce qu'on sait tous, et ils feront oui de la tête sans rien répondre que le silence.
[J]e suis revenue dans mon lit pour finalement m'endormir, je ne sais plus quand exactement, car on ne le sait jamais vraiment, le sommeil est quelque chose de pas bruyant.
Ça n'est pas facile d'être à l'intérieur de moi, et des fois je préférerais plutôt être à côté pour pouvoir me sauver en criant.
Je crois que Mané est comme moi, dans le sens qu'il n'est pas pareil, et moi ne suis pas pareille. Pas de la même façon, mais d'une façon qu'on peut rire ensemble. Et quand on se voit, on ne voit pas les autres qui sont comme les autres, et ça nous fait du bien.