Coup de cur Bfm - Le passeur
Bibliothèque francophone multimédia de Limoges
Aurélie vous présente son dernier coup de cur, "Le passeur" de Stéphanie Coste, paru aux éditions Gallimard en 2021.
La résilience finit par capituler sous le poids des chagrins.
Quarante-cinq zombies luisants me fixent du même regard suppliant. J’y vois passer les ombres d’épreuves inracontables. Leurs fringues en lambeaux sont maculées de déjections. Des mouches s’y vautrent sans qu’ils en soient conscients. Ils ont lourdé leur dignité quelque part dans le Sahara. Les abominations subies n’ont pas entamé le brasier au fond de leurs pupilles, ce putain d’espoir.
Seul l’éclat vert de ses yeux a survécu au naufrage de son corps. Mais cet éclat a la dureté d’une émeraude.
Mais on croit toujours avoir atteint son quota de malheur, son quota de souffrances. On se dit Dieu va me donner du répit, des forces, du sursis. Puis on se demande à quel moment Dieu a enfilé les habits du Diable, et ses chaussures pour nous piétiner avec ?
Il fait un geste d'impuissance en levant les mains au ciel. Comme si Dieu avait quelque chose à voir là-dedans. Ca fait bien longtemps que Dieu a jeté l'éponge, trop de boulot les gars, je me tire !
Je suis assis sur ma paillasse, ou sur un brasier, quelle différence ? Une chauve-souris vampire est entrée dans ma tête, puis deux, puis vingt, et leur vol de pensées morbides se cognent sur les parois de mon cerveau en sang.
«ils ne pourront éviter la traversée du désert, la mort assise sur leur cou comme une enclume. Il en meurt plus dans la fournaise des mirages qu´en mer en temps normal. La rage de survivre leur donne de plus en plus la gnaque».
« J’ai fait de l’espoir mon fonds de commerce .Tant qu’il y aura des désespérés, ma plage verra débarquer des poules aux œufs d’or. Des poules assez débiles pour rêver de jours meilleurs sur la rive d’en face »
Je rejette en bloc le sentiment de fierté qui me vient en le voyant soucieux d être à la hauteur, et l élan d affection qui me prend de court. Je tousse pour évacuer les deux. Je crois qu'il n'a rien vu.
Mais on croit toujours avoir atteint son quota de malheur, son quota de souffrances. On se dit Dieu va me donner du répit, des forces, du sursis. Puis on se demande à quel moment Dieu a enfilé les habits du diable, et ses chaussures pour nous piétiner avec ?