Ana avait enfin compris l'importance de ce que sa grand-mère lui avait légué :
la liberté de devenir qui elle voulait.
Il semblait écouter son cœur, qui battait si fort qu’elle s’attendait presque à le voir bondir de sa poitrine. Elle entendait sa propre respiration devenir saccadée, haletante, et elle se sentit presque libérée lorsqu’il dégrafa avec une dextérité déconcertante son corset.
Il ne lui restait sur le dos que sa chemise de jour, mais elle se sentait comme nue, rougissant comme une pivoine, le comble pour une marguerite...
La magie opérait parfois comme aujourd’hui, et un banc de dauphins apparut, accompagnant le bateau sur quelques centaines de mètres. Leur peau douce et luisante glissait dans l’écume des vagues et malgré l’habitude et les années, la beauté du spectacle lui flanqua la chair de poule. Elle sentit des frissons lui chatouiller l’échine et des larmes lui piquer les yeux. D’une sensibilité exacerbée, Ana se trouvait parfois totalement submergée par la beauté d’un paysage ou la simple vue d’un animal sauvage. Elle qui, enfant, n’avait jamais rien vu d’autre que les pavés gris de Paris, s’émerveillait naïvement devant la beauté saisissante de la nature.
Conduis-toi comme une princesse
et les hommes feront de toi une reine
Une mère est-elle toujours tiraillée entre l’honneur et le bonheur de ses enfants ?
À ses pieds l’océan dansait, ruisselant de lumière, si bleu, si profond. Il songea un instant à baisser les bras et à plonger dans cette immensité si paisible, oublier, disparaître.
Comment en était-elle arrivée là ? Elle connaissait la réponse, mais refusait souvent d'y penser. Surtout maintenant, avec cette foutue guerre qui remuait tout ce qu'elle avait cherché à enfouir ces dernières années. La honte, la trahison, la culpabilité et bien d'autres sentiments qu'elle avait étouffés.
La perspicacité de Léopold l'étonnait toujours. Il était beaucoup plus mature et raisonné que sa fille pourtant plus âgée. Il était donc agréable d'échanger avec lui, presque comme avec un adulte, sans jugements ni faux-semblants. Mais ce qui la liait inexorablement à l'enfant était la confiance totale qu'il lui vouait. Dès les premiers instants, Léopold s'était accroché à elle comme à un rocher, elle était devenue son phare dans la nuit, sa seule référence, son parent de substitution. Espérie n'était pourtant pas la plus maternelle de la maisonnée, mais l'enfant semblait en avoir décidé autrement.
« Il te suit comme un poussin, avait plaisanté Léonie, attendrie. Te voilà avec trois petits maintenant. »
Ni soumise ni résignée, elle ne se contenterait pas de non-dits.
À croire que dès que les hommes disparaissent, les problèmes des femmes s’envolent avec eux.