[Nocturne le jeudi]
Olivier BARROT présente le
roman de
Sylvie BRUNET "Nocturne le Jeudi", édité par Albin Michel.
J’écris…
(d’Anna de Noailles)
J’écris pour que le jour où je ne serai plus
On sache comme l’air et le plaisir m’ont plu,
Et que mon livre porte à la foule future
Comme j’aimais la vie et l’heureuse Nature.
Attentive aux travaux des champs et des maisons,
J’ai marqué chaque jour la forme des saisons,
Parce que l’eau, la terre et la montante flamme
En nul endroit ne sont si belles qu’en mon âme !
J’ai dit ce que j’ai vu et ce que j’ai senti,
D’un cœur pour qui le vrai ne fut point trop hardi,
Et j’ai eu cette ardeur, par l’amour intimée,
Pour être, après la mort, parfois encore aimée,
Et qu’un jeune homme, alors, lisant ce que j’écris,
Sentant par moi son cœur ému, troublé, surpris,
Ayant tout oublié des épouses réelles,
M’accueille dans son âme et me préfère à elles…
(L’Ombre des jours, 1902)
p. 124
Passionnément
Louise de Vilmorin
Je l’aime un peu, beaucoup, passionnément,
Un peu c’est rare et beaucoup tout le temps.
Passionnément est dans tout mouvement :
Il est caché sous cet : un peu, bien sage
Et dans : beaucoup il bat sous mon corsage.
Passionnément ne dort pas davantage
Que mon amour aux pieds de mon amant
Et que ma lèvre en baisant son visage.
(L'Alphabet des aveux, 1954)
p. 137
Antoinette Deshoulières
LES MOUTONS -IDYLLE
Hélas ! petits moutons, que vous êtes heureux !
Vous paissez dans nos champs sans soucis, sans alarmes :
Aussitôt aimés qu’amoureux,
On ne vous force point à répandre des larmes ;
Vous ne formez jamais d’inutiles désirs.
Dans vos tranquilles cœurs l’amour suit la nature :
Sans ressentir ses maux, vous avez ses plaisirs.
L’ambition, l’honneur, l’intérêt, l’imposture,
Qui font tant de maux parmi nous,
Ne se rencontrent point chez vous.
Cependant nous avons la raison pour partage,
Et vous en ignorez l’usage.
(extrait, 1674)
p. 60
Poème de Valérie Rouzeau
(p. 152)
Mon père mon père mon père en terre
au vent d'été au vent d'hiver.
Oh mon père terra terraqué je te
répète perroquet mon père mon père.
Au vent d'hiver au vent d'été en terre
entier au vent chanté.
Enfant dans les grands sapins verts
c'était toi qui sifflais soufflais enfant
dans les grands sapins blancs.
Mon père je te répète en l'air c'est une
fleur lancée assez haut.
Les deux pieds dans tes graviers clairs.
Les deux mains pour la fleur ou l'oiseau.
(Pas revoir, extrait, 1999)
En danger de mots
(d’Andrée Chedid)
À quoi servent les mots
Face à celui qui meurt !
Ils apprivoisent l'abîme
Désamorcent les peurs
Ramifient la tendresse jusqu'au seuil de l'obscur
À quoi servent les mots
Face à celui qui vit !
Ils brisent ou bien apaisent
Incendient ou délivrent
Ils modèlent nos visages
Saccagent ou donnent ferment.
(Poèmes pour un texte, 1970-1991)
p. 140
collier de jours identiques
matins d'espoir soirs de fatigue
jours gris comme perles de pluie
fil après fil
le temps de la guerre tresse sa corde
entre une ville et une autre ville
entre hier et demain
entre pouvoir et devoir
notre amour
vaillant
funambule au-dessus de l'abîme
Ella Yevtuchenko, femme poète ukrainienne, contemporaine.
L’Offrande à la nature
Anna de Noailles
Nature au cœur profond sur qui les cieux reposent,
Nul n’aura comme moi si chaudement aimé
La lumière des jours et la douceur des choses,
L’eau luisante et la terre où la vie a germé.
La forêt, les étangs et les plaines fécondes
Ont plus touché mes yeux que les regards humains,
Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains.
J’ai porté vos soleils ainsi qu’une couronne
Sur mon front plein d’orgueil et de simplicité,
Mes jeux ont égalé les travaux de l’automne
Et j’ai pleuré d’amour aux bras de vos étés.
Je suis venue à vous sans peur et sans prudence
Vous donnant ma raison pour le bien et le mal,
Ayant pour toute joie et toute connaissance
Votre âme impétueuse aux ruses d’animal.
Comme une fleur ouverte où logent des abeilles
Ma vie a répandu des parfums et des chants,
Et mon cœur matineux est comme une corbeille
Qui vous offre du lierre et des rameaux penchants.
Soumise ainsi que l’onde où l’arbre se reflète,
J’ai connu les désirs qui brûlent dans vos soirs
Et qui font naître au cœur des hommes et des bêtes
La belle impatience et le divin vouloir.
Je vous tiens toute vive entre mes bras, Nature.
Ah ! faut-il que mes yeux s’emplissent d’ombre un jour,
Et que j’aille au pays sans vent et sans verdure
Que ne visitent pas la lumière et l’amour…
(Le Cœur innombrable, 1901)
pp. 122-123
*****
AUX HOMMES
Fier d’une fausse liberté
Sexe, qui vous croyez le maître,
Soyez au moins, digne de l’être.
Justifiez votre fierté ;
Et puis, ce sera notre affaire,
Quand vous l’aurez bien mérité,
De vous surpasser pour vous plaire.
Pardonnez-moi cette candeur,
Qui peut vous paroître un outrage,
Mais qui convient à mon humeur.
Vive, indépendante & volage,
Ma plume obéit à mon cœur.
Disserter est votre partage :
Il est très noble assurément ;
Le nôtre, c’est l’amusement,
Qui, prouvant moins, vaut davantage.
A votre plus grave argument,
Nous répondons en nous jouant,
Avec un mot de persiflage.
EXTRAIT POEME FANNY DE BAUHARNAIS - 1776
Tant que mes yeux pourront larmes épandre
(de Louise Labé)
Tant que mes yeux pourront larmes épandre
A l'heur passé avec toi regretter,
Et qu'aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre ;
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard luth, pour tes grâces chanter ;
Tant que l'esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toi comprendre,
Je ne souhaite encore point mourir.
Mais, quand mes yeux je sentirai tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,
Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer signe d'amante,
Prierai la mort noircir mon plus clair jour.
(Sonnets, XIV)
p. 38
N'a rien à voir, en revanche, avec l'idée d'un être fourbe, celui qui est fourbu. Car ce dernier a tout simplement trop bu, excès qui l'a épuisé ! L'adjectif serait, en effet, venu au XVIe siècle d'un verbe de l'ancien français, forboire, qui signifiait « boire excessivement, se fatiguer à trop boire », et se serait appliqué tout particulièrement, explique Littré, à « un cheval qu'on a fait boire trop tôt après avoir eu chaud », ce qui lui aurait provoqué une « fourbure », inflammation des tissus du pied.
« Mais si nous voulons y arriver, donnons quelque relâche à nos chevaux ; ils sont presque fourbus » (Dumas, Vingt ans après, 1845)