Cela arrive parfois, dans les familles : un enfant qui ne cadre pas, au rythme décalé, dont le compteur est réglé sur la mauvaise fréquence. Dans notre famille, c'était Tyler. Pendant que nous nous trémoussions, lui dansait la valse. Il était sourd à la cacophonie de nos existences, et nous étions sourds à sa calme polyphonie. (p. 74)
Mais la justification n'a aucun pouvoir sur la culpabilité. Aucune colère, aucune fureur dirigées contre les autres ne peuvent la soumettre, parce que la culpabilité, c'est la peur de sa propre détresse. Elle n'a rien à voir avec les autres. (p. 465)
J'avais entendu jouer du piano à d'innombrables reprises auparavant, en accompagnement de cantiques, mais quand Marie jouait, sa musique n'avait rien à voir avec ce martèlement sourd et informe. C'était liquide, c'était aérien. C'était du roc et, l'instant d'après, du vent. (p. 122)
J'ai recommencé à réfléchir à la famille. Elle recelait une énigme, un élément irrésolu. Que doit faire un individu, me demandais-je, quand ses obligations envers sa famille se heurtent à d'autres obligations-envers les amis, la société, ou soi-même ? (p. 452)
Ce que je savais de la physique, je l'avais appris à la ferraille, où le monde semblait souvent instable, capricieux. Mais il y avait là un principe au moyen duquel les dimensions de la vie devenaient définissables, saisissables. Peut-être la réalité n'était-elle pas entièrement volatile. Peut-être était-elle explicable, prévisible. Peut-être y avait-il moyen de faire en sorte qu'elle ait un sens. (p. 188)
Le chant s'est achevé et je suis restée assise, sidérée, jusqu'au morceau suivant, puis les autres, jusqu' à la fin du C. D. Sans cette musique, la chambre paraissait sans vie. J'ai demandé à Tyler si nous pouvions le réécouter... (...)
la musique est devenue notre langage. (...) J'étais aussi bagarreuse que mes frères, mais quand j'étais avec Tyler, je me transformais. Etait-ce la musique, la grâce de ces chants, ou sa grâce à lui ? En un sens, il m'amenait à me regarder avec ses yeux à lui. (p. 76)
Autrement dit, ma mère avait résolument réagi à la respectabilité dont on l'abreuvait. Grand-mère voulait offrir à sa fille ce cadeau qu'elle n'avait jamais reçu : être de bonne famille. (p. 49)
Vous pourriez attribuer quantité de noms à cette individualité. Transformation. Métamorphose. Fausseté. Trahison.
J'appelle cela une éducation. (p466)
La distance- à la fois physique et mentale- parcourue au cours de cette dernière décennie m'a presque coupé le souffle. Avais-je trop changé ? Toutes mes études, mes lectures, mes réflexions, mes voyages m'avaient-ils transformée en une femme qui n'était plus à sa place nulle part ? (p. 444)
Rétrospectivement, je perçois que c'était cela, mon instruction, celle qui compterait : les heures passées assise à ce bureau d'emprunt, à tenter péniblement d'analyser quelques maigres éléments de doctrine mormone. Ce que j'allais acquérir là était essentiel, la patience de lire des choses que je ne pouvais pas encore comprendre. (p. 101)