Atelier d'écriture Plume en ligne, Couleurs, Paternel à mort. Atelier autour du livre de Thierry Crifo, présenté par l'auteur. Quatrième partie de l'atelier.
Je descends sur le quai. C'est aussi cradingue qu'au bar tabac tout à l'heure. Devant moi un clodo pisse un coup en chantant un bel canto de folie. Pas mal du tout.
Le métro arrive. Les portes s'ouvrent, je monte en me faufilant entre les voyageurs qui descendent. D'abord l'odeur. Quelle saloperie ! Je jette un œil dans le wagon, une jeune fille assise me remarque et me propose une place assise, je refuse d'un geste froid. Les stations défilent, mon espace se restreint. Toutes sortes de gens à portées de main. Je m'étonne, je suis dépassé, je supporte difficilement les vendeurs de journaux qui déballent leur vie, les autres qui n'écoutent plus ou qui font semblant, les faciès déprimants qui font la gueule et moi qui me demande si je suis encore de ce monde-là.
"Au moins un rêve, ça ne coûte pas cher."
- Les endroits branchés c'est la grande escroquerie de ce siècle, avec le rock'n'roll. Ca fait rêver le prolo et gonfler l'ego des gogos.
Je dois faire gueule un peu trop fort. Elle me gratifie d'un grand sourire.
- Pour le rock, je plaisante.
Le coup de foudre, ça doit ressembler à ça, un champ contrechamp, les yeux dans les yeux, en plan très serré, même à distance, en évacuant les autres, tous les autres, le monde entier, le monde qui n'a pas sa place dans ce tête-à-tête, ce tête-à-tête qui ressemble déjà à un corps-à-corps, qui bouscule les conventions, qui fait exploser le décor, qui le fait palais, tapis volant, avec l'impression fulgurante de se connaître déjà, d'être en sécurité, en complicité. (p.105)
Le lundi, elle avait rendez-vous avec ses copines, Lucienne et Mathilde. Elles formaient un trio de choc, les trois grâces comme on les appelait à la Maison du Quartier. Mais en y réfléchissant, il fallait le dire vite, car même si la douceur, la gentillesse, la féminité étaient encore présentes, nos trois mamies avaient leur caractère ! En clair, il ne fallait pas les chercher.
"-les remords, c'est toujours trop tard-"
Et puis un soir, monsieur Raymond est rentré. Il avait, depuis que j'vivais reclus, décidé de m'éviter. Il a posé le journal sur la table, bien en évidence, et s'est enfermé l'air de rien aux cabinets. J'ai attendu un peu et j'ai attrapé le canard. Il y avait un article avec en pleine page, la photo de Dédé et de la Perle, triomphants. Ils avaient gagné le tournoi de coinche des trois hospices et brandissaient à quatre mains une coupe plaquée or. Horreur et trahison, le coup de grâce, l'assassinat !
"Il est des êtres qu'on ne fait qu'apercevoir, et sans savoir pourquoi, on se sent proche d'eux."
- Je vous avais dit qu'il était pas là.
- Les clés de la cave?
- Dans le tiroir de la cuisine.
- Tu vois, un beau soir, en pleine nuit, déguisé en livreur de pizzas, en travelo, en barbu intégriste ou en flic, au choix, il frappera à ta porte, alors soit tu marches avec nous, soit on te boucle pour complicité. D'accord?
Coumba ne répond pas. Elle est piégée, elle le sait. Silence dans l'appartement.
Les policiers quittent la pièce, le blondinet se retourne, lui sourit.
Elle déteste ce sourire, gluant, vicelard.
- N'oublie pas, et surtout, pense à ta môme. Son avenir dépend de toi.
"Si t'as d'la thune, on oublie d'où tu viens, ta couleur, tes origines. Le vrai passeport pour la tranquillité et la reconnaissance à perpète, c'est pas le bac pro, c'est la monnaie…" (p.7)