Thierry Lodé. Pourquoi les animaux trichent et se trompent.
Demander la soumission, c'est nécessairement faire des impuissants, il n'y a pas de hiérarchie qui ne soit pas tyrannique.
La dominance n'est ni un fondement du vivant ni un avantage social, mais résulte essentiellement d'un rapport de force historique dans lequel le hiérarque met toute sa puissance pour assujettir les peuples.
Mais il y eut un second début, quelque chose d'impensable. Les bactéries n'ont pas suffi à la terre. Il faut chercher ailleurs, dans d'autres bulles du vivant, quelque part dans des structures à peine dégagées d'une vie végétative. Il y eut un nouveau commencement avec des bulles libertines et cet extraordinaire essor s'appelle la sexualité. (p. 12)
« Car l'apparition de la sexualité a entraîné trois conséquences majeures sur le monde.
Tout d'abord, le sexe a définitivement brouillé une "sélection" prétendument impersonnelle en favorisant le CHOIX des partenaires en tant que force évolutive. […] D'un seul coup, la RELATION devenait plus importante que l'individu. Née d'une sensibilité primordiale qui rend les uns attirants pour les autres, voilà que l'histoire évolutive dépend maintenant de la liberté du désir.
Le deuxième résultat de l'émergence de la sexualité consiste dans l'opposition inévitable des deux genres. À partir de la spécialisation des gamètes, l'un petit, mobile, le spermatozoïde, l'autre gros et plein d'énergie, l'ovule, une divergence incroyable confronte les deux partenaires, et ce conflit invraisemblable se déroule dans le corps des protagonistes. […] Alors commence à s'entreprendre la grande stratégie des réconciliations amoureuses, menant progressivement à l'organisation de relations mutuelles précaires et magnifiques.
Enfin, le sexe biologique produit la variation, la différence essentielle. Au lieu de s'égarer dans une amélioration continue de performances d'une espèce qu'une crise viendrait réduire à néant, la reproduction sexuelle s'engage dans une diversification infinie, recombinant les gènes des uns avec les gènes des autres pour former une individualité nouvelle absolument originale. De toutes ces imprévisibles conséquences, il découle une subtile interdépendance des uns et des autres. » (pp. 40-41)
« Jamais il ne fut aussi temps de construire un nouveau paradigme évolutif qui :
- Discute le modèle d'une coévolution écologique, intégrant les organismes dans un ensemble d'interrelations dynamiques et changeantes avec leur environnement et reconnaissant la force structurante des interactions, de l'hétérogénéité de l'environnement et des stratégies mixtes.
- Intègre une nouvelle vision de l'information génétique, bannissant le déterminisme des "bons gènes" en s'ouvrant, au contraire, sur l'épigénétique, sur ma théorie du gène livre de cuisine […]
- Désavoue la dichotomie des sélections naturelle ou sexuelle au profit d'une réflexion sur la reproduction différentielle, seul critère d'efficacité à long terme, reconnaissant combien les individus et leurs décisions stratégiques pèsent sur l'histoire diversifiante de leur évolution.
- Démente, par conséquent, la figure traditionnelle de l'arbre phylétique vertical et des ancêtres uniques, mais, à l'opposé, admette les transferts horizontaux et une construction phylétique en mosaïque, selon le principe d'une évolution réticulée.
- Évacue l'hypothèse centrale de la concurrence intraspécifique et propose plutôt de réfléchir au rôle des interactions et de la facilitation dans le processus évolutif, générant du conflit et de la spécialisation phénotypique, introduisant la différence dans l'histoire, probablement selon des dispositifs bioéquivalents au mécanisme de déplacement de caractères.
- Conteste le théorie du sexe comme processus avantageux de propagation des gènes, mais accepte, au contraire, d'étudier la sexualité comme une interaction primitive propre aux eucaryotes suivant la théorie des bulles libertines, et réalisant que tout changement résulte d'un mécanisme immédiat et proximal sans orientation ni but ultime.
- Et, enfin, conçoive que le comportement ne consiste pas dans une force complémentaire au service des gènes, mais cherche plutôt à retrouver une écoéthologie, le développement des comportements dans leur environnement, évacuant définitivement la tentation eugéniste. » (pp. 279-280)
Ni gènes généreux ni gènes égoïstes, le sexe a enraciné une relation entre les organismes vivants. Ainsi s'organise une relation dynamisée par le conflit sexuel, une relation qui détourne les caractères et engage les mutualismes; C'est ici que se révèle la force structurante des interactions. Les champignons et les plantes ont hésité encore, mais la plupart des êtres vivants, et 95% des animaux, se risquent désormais avec davantage de résolution dans l'aventure sexuelle.
A partir des échanges génétiques pratiqués par quelques bulles libertines primitives (libertine bubble theory) enfouies dans une promiscuité archaïque, un mécanisme complexe de maintien des gènes s’est mis en place. La promiscuité a obligé aux tranferts de gènes mais il en a découlé un avantage inattendu : les gènes transférés ont changé les enzymes des bulles qui les obtenaient. S’il on préfère, les bulles qui ont été les plus libertines sont celles qui ont accru leur réussite révélant combien le sexe est né d’une interaction primitive immédiate. Il fallait juste que chacun soit sensible aux autres, que chacun reconnaisse les molécules de l’autre. Conséquence secondaire de réactions métaboliques primitives, le sexe provient de cette sensibilité élémentaire
« Dérivant de fonctions métaboliques, les premiers archaïsmes du désir commençaient. Certaines bulles [de lipides, prébiotiques], privées de matériel génétique ont disparu. Mais d'autres ont profité de ces échanges, et les plus libertines, celles qui toléraient le mieux la promiscuité, ont mêlé leurs gènes. Cette appropriation réciproque a permis de profiter de l'aptitude des gènes à rénover les enzymes, à changer de métabolisme. Du coup, l'ADN s'additionnait, se dédoublait même, organisant sa redondance. Entre les cellules, un équilibre des échanges s'est réalisé, une gestion du contact, et, à partir de mécanismes primitifs de rejet d'un trop-plein d'ADN, la réduction méiotique a tempéré le nouvel organisme, inventant le début du sexe. […]
Les échanges d'ADN se multiplient, entraînant un conflit génomique que la réduction méiotique gouverne. Grâce au noyau, ces protocellules admettent les multiples chromosomes et la recombinaison totale. Les premiers eucaryotes apparaissent. […] établissement d'une relation préalable […] et cela chez des êtres non sexués, ni mâles ni femelles. Car le sexe est apparu avant les individus sexués ! » (p. 266)
Chacun peut prendre apparament sa petite part personnelle dans le pillage generalise des "ressources" ou dans la "fabrication de richesses"
La cour du rhinocéros amoureux n’est guère romantique. Lorsqu’il aperçoit une femelle, il racle la terre, libère des jets d’urine, disperse des excréments et beugle. Comme un puissant chevalier de près de 1,5 tonne, il tente d’impressionner la belle. La femelle ne se laisse pas si facilement convaincre et commence par le repousser violemment. Mais le mâle lui barre le chemin et frime de nouveau. La femelle hésite plusieurs jours durant. Pourtant, elle devra bien s’approcher de la mare pour étancher sa soif, et donc accepter l’accouplement avec ce fanfaron un peu lourdaud.