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Critiques de Thomas Bouchet (14)
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Utopie

Oh, encore un livre sur l'utopie ! Moi qui n'avais jamais rien lu sur le sujet pendant des dizaines d'années, on peut dire que je me rattrape.





Je pensais que celui-ci allait être complémentaire de Mondes (im)parfaits. L'est-il ? Oui et non. Oui, parce qu'il explore d'autres pistes que le catalogue d'exposition de la Maison d'Ailleurs. Non, parce que l'essai de Thomas Bouchet m'a trop laissée sur ma faim pour que je le considère à la hauteur de Mondes (im)parfaits.





Les gros points forts de ce livre, ce sont certains de ses chapitres, et une façon d'aborder l'utopie qui n'est pas si habituelle (encore que, comme je l'ai fait remarquer plus haut, je n'y connaisse pas grand-chose). Thomas Bouchet insiste en effet sur le fait que l'utopie s'accommode mieux des minuscules et du pluriel que d'une majuscule de du singulier. Autrement dit, c'est la diversité de l'utopie qui fait tout son intérêt, mais aussi le fait qu'elle prenne corps dans de multiples projets individuels ou collectifs. En cela, il rejoint Benoît Peeters dans Mondes (im)parfaits, qui parle d'utopies "locales, modestes, ponctuelles, pourrait-on dire". Thomas Bouchet ne le formule pas de façon carrée, mais au contraire en allant chercher à droite et à gauche (enfin pas vraiment à droite, en fait...) des exemples d'utopies aux visages différents les uns des autres. Ce qui ressort le plus de cet essai, c'est que l'utopie, c'est quelque chose de mouvant, qui se doit de changer constamment, au risque de s'enliser ou de se voir dévoyée.





D'où l'intérêt en particulier de deux chapitres. Celui sur les entreprises qui ont pris comme nom Utopie ou Utopia et sont, sous couvert d'une appellation qui invite au rêve, des machines consuméristes. Ou comment vider de son sens un concept foisonnant... L'autre chapitre marquant, c'est bien sûr celui sur le socialisme, ou plutôt les socialismes, puisqu'ils ont été eux aussi multiples et constamment accusés de faire basculer l'utopie vers la dystopie et l'autoritarisme. Thomas Bouchet se penche sur la question, sans conclure qu'à l'évidence, le socialisme c'est forcément l'autoritarisme. Ni l'inverse. Je ne vais pas m'étendre dessus, mais j'ai découvert que pas mal de socialistes des débuts se sont attachés à se dissocier d'une image d'utopistes. Ben oui, l'utopie, ça a toujours été plus ou moins mal vu, on dirait, et ce depuis Thomas More.





Mais tout ça est assez foutraque. On n'est pas dans une histoire de l'utopie, d'accord. On est davantage dans une forme d'essai qui tiendrait (seulement en apparence, évidemment) d'une réflexion menée au fur et à mesure de l'écriture. Et qui pose quelques problèmes. Parce que si l'auteur nous invite à sa suite à aller du côté des penseurs socialistes, des écrivains des XVIème, XVIIème, XVIIIème siècles, il nous balance aussi des exemples un brin bizarres. Pourquoi parler du Cirque Plume comme d'une utopie ? J'ai mon idée sur la question (Nouveau Cirque, pas d'animaux), mais rien ne dit que c'est celle de Thomas Bouchet. Il y aussi les Gilets jaunes qui reviennent pas mal sur le tapis et que l'auteur nous présente comme des utopistes. Si je me réfère à ceux que j'ai rencontrés au début du mouvement, racistes, crachant sur la gauche encore plus que sur Macron, sur l'écologie, et sur pas mal d'autres petits trucs que, personnellement, je juge important de défendre, qui avaient tous voté aux élections présidentielles pour une candidate défendant un modèle ultra-libéral (pour ne pointer que ça), je ne vois pas bien où est l'utopie. Certes, je n'ai pas rencontré tous les Gilets jaunes. Mais Thomas Bouchet non plus. Et pourquoi nous les présenter comme majoritairement de gauche ?





C'est là que le pamphlet nuit à l'essai. Je suis sur la même ligne que Thomas Bouchet pour ce que j'ai pu en voir : contre les inégalités sociales qui gangrènent le monde, pour faire toujours davantage en matière d'écologie, contre un mode de vie consumériste, et j'en passe (bon, oui, c'est presque trop facile de le dire). Je comprends tout à fait l'intérêt de l'utopie : elle a valeur de charge critique - et là on en revient à Mondes (im)parfaits -, et permet de mettre en oeuvre des projets pour changer le monde (en mieux, faut-il le préciser) à tous les niveaux. Mais franchement, quel besoin de parler du Cirque Plume qui arrive comme un cheveu sur la soupe, quel besoin de parler je ne sais combien de fois des Gilets jaunes, quel besoin, même, de répéter à l'envi qu'on a un problème avec le capitalisme ? Les lecteurs de cet essai savent bien qu'on a un énorme problème avec le capitalisme. Ça fait pas de mal de le rappeler, mais le répéter sous toutes les formes, est-ce pertinent ? Alors que rappeler ce qu'a dit Manuel Valls sur le socialisme, rappeler la façon dont le socialisme français s'est accommodé du libéralisme économique, c'est plus rare et ça vaudrait le coup d'être plus développé.





Ce qui m'amène à une question que je me pose tout le temps quand je lis ce genre d'essai : à qui s'adresse l'auteur  ? Dans notre cas, pas aux pourfendeurs de l'utopie. S'ils lisent le livre, ce sera avec une idée préconçue. C'est tout le paradoxe de ces essais qui défendent des idées de gauche : vous ne les lisez en général que si vous êtes de gauche, ou pour vous railler des idées de gauche. Et c'est exactement la même chose pour les essais qui vont défendre des idées de droite, ou des idées ceci ou cela. C'est toute la limite de ce genre d'exercice, surtout en format court. Comment ne pas tomber dans le piège, du coup ?





Bien. Notons tout de même que, malgré mon approche mitigée de cet essai, on y trouve des informations non dénuées d'intérêt, dont beaucoup de références à divers penseurs et écrivains. Pour ma part, j'aurais apprécié une bibliographie en fin d'ouvrage, mais il semblerait que ça soit une habitude qui se perd (il faut donc feuilleter le livre pour retrouver les références, ou prendre plein de notes au fur et à mesure, ce que je trouve tout sauf pratique). Une bonne chose, en tout cas, c'est que j'ai découvert une maison d'édition, anamosa, et une collection, le mot est faible (c'est le nom de la collection, oui). Il serait intéressant de voir ce que donnent d'autres titres. Je m'attaquerais bien à celui sur L Histoire.





Mais avant tout, je me dois de lire L'Utopie de Thomas More. Allez, zou, en avant pour l'île d'Utopia ! Enfin... ce sera quand j'aurai fini ce que j'ai en cours... Et aussi quand j'aurai lu ce que j'ai emprunté à la bibliothèque... Hum. On dirait bien que j'ai besoin d'être stimulée, ou je risque fort d'attendre dix ans avant de lire Thomas More. Hum hum. Hum hum hum. Hum.


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Utopie

Un livre intéressant sur certains points et problématique sur d'autres.

Thomas Bouchet essaie de débrouiller la notion d'utopie et ce qu'on y met. Car on y met beaucoup de choses. Cette démarche attire forcément ceux qui ont envie de découvrir le sujet. Beaucoup d'autres ont déjà leurs certitudes.

Analyser les rapports entre socialisme et totalitarisme, rapports qui existent ou qu'on imagine, c'est intéressant, surtout quand on apprend que beaucoup de socialiste eux-mêmes se proclamaient non utopistes.

Présenter la pensée de Fourier, c'est intéressant si c'est clair. Et ça n'est pas clair, malheureusement.

Partir tous azimuts pour parler de l'utopie, parler d'utopie à propos de tout ce qui plaît à Thomas Bouchet, parler d'utopie à propos de tout et de rien, je ne vois pas où ça me mène.

Mon avis est donc mitigé, partagé entre l'intérêt pour les penseurs de l'utopie et la déception d'avoir entre les mains un livre qui ne se donne pas les moyens de son ambition.
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Utopie

Terme utilisé à toutes les sauces s’il en est, pour désigner tantôt les rêves les plus audacieux tantôt les cauchemars totalitaires, pour désamorcer des propositions raisonnables mais dérangeant l’ordre établi, « utopie » méritait d’entrer dans cette collection qui s’emploie à redonner du sens aux mots dévoyés. Thomas Bouchet, professeur associé en histoire de la pensée politique à l’université de Lausanne, loin de chercher à le figer dans une définition définitive, s’en empare pour une navigation destinée « à le recharger » : « L’immobilité est sans doute une menace beaucoup plus directe pour l’utopie que la fluidité. »

(...)

Constatant combien les soi-disant évidences peuvent être balayées du jour au lendemain, Thomas Bouchet conclut que « l’utopie pourrait (…) consister en une pratique de la ruse souriante et radicale, en une contestation globale qui se déploie en particulier lorsqu’il n’y a plus ou pas assez de marge de manoeuvre. Comme on a besoin de mot pour suggérer et dire, le mot utopie lui-même aurait toute sa place dans ce monde-là, une fois allégé de la gangue d’interprétation qui l’affaiblissent. » Puis, il abandonne son lecteur à ses pensées enthousiastes.



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De colère et d'ennui

Tout d'abord, je remercie Babelio et les éditions anamosa de m'avoir permis de faire cette belle lecture.

Je voudrais vous parler d'un livre atypique, qui m'est tombé un peu par hasard dans les mains ; mais le hasard existe-t-il vraiment, surtout en lecture ?

Bref, de colère et d'ennui est un livre particulier, ne serait-ce déjà lorsqu'on le prend dans ses mains, qu'on commence à le feuilleter. C'est un objet au premier abord plutôt insolite, mais que j'ai trouvé fort séduisant. La quatrième de couverture se déplie depuis l'intérieur, servant à protéger les pages, un peu comme ces journaux intimes qui gardent leurs pages secrètes, presque sous un verrou. Le livre s'ouvre et des cartes se déplient, en amont comme en aval du texte, des reproductions d'anciennes cartes de Paris, datant du XIXème siècle. Et les cartes, issues des archives de la Ville de Paris et de la Bibliothèque nationale de France, offrent à la fois une vue générale de la capitale, mais aussi un plan cadastral de certains arrondissements ou quartiers, au plus près des lieux où se déploient le récit. Nous découvrons ainsi le quartier du jardin du Roi, le quartier du Temple, le quartier de la Cité ; des croquis aussi : la fontaine des Innocents, vue du Pont de Charenton, l'Eglise Saint-Ambroise, vue du Jardin des Plantes... Nous découvrons un peu après des esquisses de personnages, une lettre manuscrite aussi, raturée à certains endroits... le décor est planté, dès le sous-titre : Paris, chronique de 1832. Ne nous trompons pas, ce n'est pas un livre d'art, c'est un petit livre broché, presque de la taille d'un livre de poche, qui est là, dans son écrin de papier, pour nous livrer un texte simple, ténu, parfois sensible. Ce texte, écrit par Thomas Bouchet, un enseignant-chercheur en histoire est le récit de quatre femmes. Ce n'est donc pas à proprement parler un roman. Récit fictif ou pas ? L'éditeur nous prévient en préambule comme pour nous guider dans ces rues du Paris de 1832 : «Toute ressemblance avec des personnes, des émotions ou des paysages ayant existé n'aurait rien de fortuit ».

Donc, tout se passe en 1832, à Paris, avec en toile de fond la rue qui gronde, qui vibre, qui monte des barricades, tandis que la capitale est balayée par une épidémie de choléra. Ici, Victor Hugo n'est guère loin, Gavroche non plus, mais point de lyrisme, façon Les Misérables. Qu'importe ! Ces voix qui s'expriment dans l'intimité ont, elles aussi, des choses à dire, parfois à crier et surtout à faire entendre, pas forcément sur le même registre et c'est là tout l'intérêt de convoquer ces quatre voix. Elles peuvent paraître bien dissonantes. Tout les oppose en effet. Quelque chose pourtant les relie : ces femmes sont toutes des recluses, à leur manière. C'est ici également une autre approche originale. Il n'est pas question de descendre dans la rue, nous regardons l'insurrection naître, s'accomplir, passer sous les voix repliées de ces femmes, ici dans un salon donnant sur le jardin des plantes, plus loin dans l'arrière-cour d'un cabaret de Ménilmontant, là-bas derrière les murs d'un couvent et enfin dans une prison...

Le procédé littéraire de convoquer plusieurs voix n'est pas nouveau. Mais ici, sans doute, le procédé colle au plus près de la réalité. L'auteur est un historien, il s'est tout d'abord appuyé sur un premier matériau issu de ses recherches auprès des archives dont il a eu accès. Ensuite, il a laissé la fiction prendre le pas, donner vie à ces quatre personnages. le résultat est plutôt convaincant. Et ces voix m'ont pris la main.

Ici, il ne faut pas craindre que la forme de l'objet l'emporte sur le texte ; la manière et la matière font corps et le contenant donne vraiment un sens au propos du contenu. Mais il ne suffit pas de le décréter. C'est comme en amour, il faut des preuves d'amour, comme dirait notre ami Oscar Wilde. Ici les preuves de la sincérité du texte viennent par le ton donné, la crédibilité historique de l'auteur.

Ainsi, nous découvrons tout d'abord Adélaïde, bourgeoise hypocondriaque, épouse d'un scientifique, qui dans ses lettres destinées à une amie éloignée de Paris, donne son regard très subjectif sur les événements sociaux du moment, elle nous dit son amour pour le chocolat de luxe, la girafe du jardin des plantes, l'homme d'origine africaine qui s'occupe de l'animal, évoque son mari scientifique, c'est un regard qui nous paraît forcément choquant par la voix superficielle, raciste dans son innocence, décalé par rapport à la situation sociale, la misère qui vient crier presque jusqu'à la fenêtre de son salon, qu'elle quitte si peu. A sa manière elle est recluse non seulement dans son espace physique confiné, sa chambre, son salon, ses lectures de la Gazette du tribunal, les lettres à son amie, mais surtout elle est recluse dans son univers de femme bourgeoise, son mode de pensée, son regard sur la société qui vacille autour d'elle. Émilie, saint-simonienne, sorte de Louise Michel presque quarante ans avant l'heure, quant à elle, arrangue la foule, ses proches, dans des lieux malgré tout confinés, arrière-salles de bars de Ménilmontant. L'amour, le sexe, sont présents. Cette femme est également recluse non pas tant dans les lieux où elle exprime sa voix, mais dans cet espace où ses proches l'enferment. C'est presque plus étouffant en termes d'espace... Plus loin, une autre femme recluse, Lucie, car toutes ces femmes sont recluses à leur manière, mais celle-ci vous en conviendrez, le terme est bien choisi, est enfermée dans une condition moniale, mystique en extase. Ici, recluse autant dans l'enfermement du lieu que de son amour, que dis-je, son extase, pour le corps de Jésus. Enfin, Louise, marchande ambulante du centre de Paris, atteinte du choléra et soupçonnée d'avoir participé à l'insurrection. Elle est recluse dans des espaces d'interrogatoire successifs (commissariat, prison, médecin...).

Ces femmes ne parlent pas entre elles. Elles s'adressent à nous et ce sont nous, lecteurs, qui avons la tâche ultime de faire le lien entre elles.

Du reste, l'auteur a eu la gentillesse de nous localiser ces quatre personnages, par l'attribution de couleurs, sur la carte de Paris qu'il nous livre en annexe du livre.

J'ai aimé ce texte, j'ai été séduit par l'objet que représente ce très beau livre. Les deux vont bien ensemble. Ce n'est pas forcément un coup de cœur, mais j'ai prêté une attention à ces voix et j'ai apprécié la recherche historique de l'auteur et sa capacité à faire parler ces femmes. Il reste maintenant à leur donner une écoute.
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De colère et d'ennui

Tout d'abord je remercie Masse Critique Babelio et les éditions anamosa pour m'avoir permis de découvrir ce livre.

L'auteur, historien a recours à la fiction pour mettre en scène quatre femmes de conditions sociales différentes : la bourgeoise Adelaïde, la saint-simonienne Emilie, la marchande ambulante Louise et la mystique Lucie. Une approche originale, des personnages fictifs mais qui pour autant ont bien pu exister sous d'autres noms dans ce Paris des années 1832, tant tout semble si crédible.

C'est à travers leurs voix que nous partageons une histoire sociale et sensible, et en tout premier lieu la condition féminine durant le XIXe siècle.

4 femmes donc et 4 univers différents. Pour autant leur isolement est identique.

Adélaïde épouse d'un scientifique du Jardin des Plantes vivant dans un univers protégé s'ennuie. A travers sa correspondance épistolaire nous partageons son quotidien monotone, rythmé par ses promenades dans les allées du jardin, ses visites à la girafe, la lecture de la Gazette qui la tient informée des événements lointains (pour elle qui vit dans un lieu protégé ), et pourtant si proches, il n'y a qu'à pousser le portail, de l'avancée du choléra, des traitements et recommandations possibles et de l'insurrection républicaine. Nous la suivrons à travers ses lettres à son amie sur toute l'année 1832 et découvrirons ainsi les éléments majeurs de cette période. C'est instructif pour qui méconnaît ce contexte historique. Le texte est typiquement écrit dans le style littéraire de l'époque, tenant compte de la condition sociale des intervenants.

En effet, celui de Louise notre vendeuse des 4 saisons est plus coloré et typique de son statut. Louise suspectée et condamnée, victime d'engagements passés sur un simple concours de circonstance, au mauvais endroit au mauvais moment, délit de faciès ? Ou doute raisonnable, Louise est-elle vraiment celle qu'elle veut laisser croire ?

A travers les actions d’Emilie, notre engagée saint simonienne, notre avant-gardiste, notre féministe qui se bat pour le droit des femmes, j'ai découvert une communauté et ses actions dont j'ignorais l'existence. Ainsi j'ai fait la connaissance du Père Enfantin réformateur social et créateur d'une sorte de mouvement religieux. Emilie est une jeune femme qui se bat pour son idéologie victime du mépris des femmes et manipulée par les hommes. Née trop tôt pour être entendue et soutenue.

Quant à Lucie la mystique, j'ai eu bien du mal à suivre ses pensées et ses sentiments dans son journal intime. Ces interventions sont courtes et peu fréquentes. C'est un personnage qui ne m'a rien fait éprouver ni rien appris, m'ennuyant même à la lecture de ses passages, malgré des textes courts et poétiques.

Portraits de femmes donc de milieux différents toutes liées cependant entre-elles, enchaînées de manière diverses dans ce statut de femme, consenti pour certaines, imposé pour d'autres et contre lequel certaines se rebellent entre colère et ennui.

De beaux portrait brossés par notre auteur historien, Thomas Bouchet qui nous offre ici de manière ludique un petit cours d'histoire et de mœurs, le tout dans un emballage original tout aussi ludique entre cartes de Paris de l'époque, situant nos personnages avec en appui un récapitulatif chronologique de l'année en cours, de dessins de lieux en rapport avec ces chroniques . Un livret éducatif et culturel pour les amoureux d'histoire et de volet social.


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De colère et d'ennui

Thomas Bouchet va nous plonger dans le quotidien de Paris en cette difficile année 1832. Pour cela, il met en scène quatre personnages féminins, qui chacun va donner une vision et un ressenti des évènements qui bousculent la ville et un aperçu de la vie qui est la leur selon leur condition sociale. Comme le dit Thomas Bouchet: « aussi vraisemblables soient-ils, les mots d’elles quatre sont à la fois les miens, les leurs, ceux de leur époque. Elles sont inextricablement le fruit de mon imagination et quatre êtres de chair et de sang qu’une enquête attentive peut extirper des textes d’autrefois. » Ces quatre protagonistes sont fictifs donc, mais construits sur des personnes bien réelles, dont il a croisé le chemin au fil de ses recherches. D’une certaine façon, ces femmes ont existé; elles sont le parfait reflet de leurs consoeurs de l’époque. Toutes quatre sont différentes par leur âge, leur condition ou leur engagement, mais elles ont un point commun: ce sont des recluses.



Adélaïde est une bourgeoise de son temps, épouse bienheureuse d’un scientifique officiant auprès du Jardin des Plantes, où ils vivent. C’est là le cocon qui abrite Adélaïde et ses petits maux quotidiens. C’est là tout son univers. Elle prend plaisir à arpenter le Jardin, à y admirer les animaux qui le peuplent (particulièrement les oiseaux) et à y observer soigneurs et promeneurs. Adélaïde est hypocondriaque, apprécie le luxe dans lequel elle vit, se délecte de friandises chic que va lui chercher sa domestique. Bientôt, elle ne quittera plus son salon. Elle s’exprime au travers d’une correspondance qu’elle entretient avec une amie partie de Paris du fait des obligations professionnelles de son mari. Elle donne son point de vue (en grande partie dicté par son époux et par sa précieuse Gazette des tribunaux qu’elle lit consciencieusement) sur les évènements qui secouent Paris, fait part de ses inquiétudes quant à l’épidémie de choléra qui prend de l’ampleur. Adélaïde m’agace. Elle m’est antipathique, tant par sa superficialité, sa naïveté que par ses geignements incessants, alors que les Parisiens qui vivent à quelques pas d’elle se meurent décimés par le choléra ou fustigés à cause de l’insurrection. Elle est recluse dans son univers, par son étroitesse d’esprit, par la futilité de ses préoccupations.



Emilie est une saint-simonienne. Elle s’exprime au travers des discours dont elle admoneste la foule et surtout les partisans qui veulent bien l’écouter. Elle milite férocement, et tente de mener ses sœurs sympathisantes vers une participation active au sein du mouvement. Emilie est féministe et entend jouer un rôle prépondérant dans le combat qu’elle mène. Elle est confinée dans des arrières-salles ou des chambres pour discourir. Elle est recluse par son idéologie.



Lucie est une jeune femme de bonne famille, instruite. Lucie a fait le choix d’adorer Dieu. On l’entend à peine, elle murmure. Elle s’exprime au travers d’un journal intime. Elle y livre ses convictions, l’extase qu’elle vit au contact de la religion, détaille ses sensations. Elle perçoit les troubles qui envahissent les rues et sera confrontée directement au choléra. Elle est recluse, au sens propre du terme, au couvent de la Rue Neuve-Sainte-Geneviève, mais aussi dans son mysticisme, dans son amour de Jésus.



Louise, enfin, est une femme du peuple. Elle est marchande ambulante. Elle a survécu au choléra et est soupçonnée d’avoir participé à l’insurrection. Elle s’exprime par les comptes-rendu de ses interrogatoires. C’est elle qui connaît la situation la plus précaire. Sa liberté est compromise et soumise aux juges. Son avenir immédiat est incertain. Elle est recluse d’abord au commissariat puis en prison.



Ce livre est un vrai plaisir. C’est d’une part une belle édition, agrémentée de gravures d’époque et de plans nous permettant de situer chacune des narratrices. L’écriture est belle, agréable, fluide. Le récit est très documenté, par conséquent très réaliste. J’ai détesté Adélaïde et son insoutenable frivolité. J’ai détesté sa légèreté face aux évènements dramatiques qui surviennent tout autour d’elle, sa puérilité dans sa façon de s’émerveiller des animaux exotiques logés au Jardin, ses mondanités par lesquelles elle s’inquiète du petit chien de son amie sans se préoccuper des morts qui jonchent les rues de Paris…



J’ai adoré la passion qui habite Emilie, même si elle est utopique. J’ai adoré le franc-parler de Louise, son bagout de femme des rues, sa loquacité naturelle, sa vivacité. Son côté roublard aussi. J’ai aimé la candeur de Lucie, sa ferveur malgré mon athéisme.



Un grand merci donc à Babelio et aux Editions Anamosa de m’avoir permis de découvrir ce livre passionnant.


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Utopie

Moins de 100 pages pour parler de l'utopie ? J'avais peine à le croire en découvrant l'ouvrage reçu grâce à l'opération Masse Critique et pourtant, il tient sa promesse de façon érudite et structurée. Dense, concis, riche en références, émancipateur, ce livre a toute sa place dans ma bibliothèque idéale ! Il s'emploie à réenchanter le mot utopie : Il délégitime les sens dévoyés ou réducteurs du mot. Il explicite ses potentiels pour donner envie de se l'approprier, sans honte ni regret, à ceux qui espèrent, créent, construisent,... des mondes meilleurs que celui où ils vivent.

(Le livre à mettre entre toutes les pattes des "anti-bisounours" pour qu'ils sachent "à moindre mots" ce qu'ils critiquent.)
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Noms d'oiseaux : L'insulte en politique de ..

D’une plume alerte et élégante, Thomas Bouchet nous fait voyager dans les fureurs de l’Hémicycle, depuis la curieuse colère des ultras de 1823 contre leur collègue libéral de gauche Manuel – tiens, malgré le suffrage censitaire très haut, il y avait tout de même quelques députés de gauche dans la Chambre introuvable ? - jusqu’aux ignobles attaques dirigées contre Simone Veil en 1974.



On y voit des députés de droite et de gauche perdre leurs nerfs et leur éducation, tels les antidreyfusards aveuglés par la haine contre Jaurès, Xavier Vallat regrettant que « ce vieux pays gallo-romain soit désormais gouverné par un juif » ou les communistes de 1947 traitant de « boches » Robert Schuman, lorrain interné par les Nazis en 1941, et son ministre de l’Intérieur Jules Moch, juif lui aussi, deux ans seulement après la découverte d’Auschwitz.



Sous ses dehors brillants et drôles, c’est un livre dur, un vrai musée des horreurs, montrant jusqu’où peut descendre la politique. Il nous apprend deux faits essentiels : les insultes sont rarement fortuites, ce ne sont pas des coups de sang, mais plus souvent le résultat de stratégies parlementaires, visant d’abord à faire perdre ses nerfs au parti insulté, pour gagner du temps, peut être même pour retourner la majorité. La démonstration est faite pour les Communistes en 1922 (« Poincaré la guerre ») et pour les anti-avortement en 1974.



Et surtout, les insultes dénotent le plus souvent une faiblesse des insulteurs, elles sont une stratégie du faible au fort : malgré les criailleries guernesiaises de Hugo, Napoléon III, que personne ne se hasarde plus à qualifier de « Petit », a construit une grande Nation moderne, Dreyfus a été réhabilité, la démocratie libérale a gagné en 1947, et le PC n’est plus qu’un souvenir ; de même, l’IVG est entrée dans la loi, parce que les Français l’ont voulu, n’en déplaise aux insulteurs.



Au passage, pour revenir sur une polémique fraiche, je note cette affreuse invective de Le Pen, alors député poujadiste, à Pierre Mendès France : « vous cristallisez sur votre personne un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques ». Comme disait Jean Pierre Raffarin « Ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? ». Les humoristes ont le droit de tout dire, mais les citoyens ont le droit de leur dire qu’ils déraillent avec le délit de sale gueule.

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Les fruits défendus : Socialisme et sensualit..

La réappropriation différenciée de l’histoire longue du socialisme – jusque dans sa diversité, ses hésitations, ses ambiguïtés, ses zigzags, ses répétitions et ses obsessions – constitue toujours une source sûre pour entretenir la vitalité de la réflexion. La riche étude de Thomas Bouchet nous invite à en prendre conscience, d’une manière aussi chaleureuse qu’érudite.
Lien : http://www.laviedesidees.fr/..
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Utopie

Une alerte et stimulante relecture contemporaine du concept d’utopie, contre ses détracteurs et ses récupérateurs intéressés, pour ses usagers légitimes et combatifs.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/08/28/note-de-lecture-utopie-thomas-bouchet/



Depuis 2019, la belle maison de sciences humaines Anamosa a développé une collection (superbement appelée : Le mot est faible) de brefs essais pédagogiques mais néanmoins tout à fait incisifs, porteurs de cette vulgarisation ambitieuse que nous appelons souvent ici de nos vœux, autour d’un certain nombre de mots, de notions, de concepts situés à la frontière vibrante entre philosophie, sciences politiques et usage commun. Après « Peuple » (Deborah Cohen), « Révolution » (Ludivine Bantigny), ou encore « Science » (Arnaud Saint-Martin), pour n’en citer que quelques volumes, c’était en janvier 2021 le tour de « Utopie », confiée à Thomas Bouchet, professeur associé en histoire de la pensée politique à l’université de Lausanne, dont Julien Delorme, venu jouer en mai 2019 les libraires d’un soir à la librairie Charybde pour la deuxième fois, nous avait chaleureusement vanté les mérites du « De colère et d’ennui – Paris, chronique de 1832 » (2018).



Particulièrement fidèle à l’esprit de la collection, Thomas Bouchet a su nous offrir une lecture multivariée et particulièrement alerte – on pourrait même dire, dans la résonance justement de Walter Benjamin ou d’Ernst Bloch : enthousiasmante ! – du concept d’utopie, résistant au piège de la seule mise en perspective historique et au plaisir ambigu du découpage philosophique et politique, évitant la glose pour englober finement diverses expériences presque quotidiennes de ce XXIe siècle déjà bien entamé. De manière saisissante, ces 90 pages à la densité parfaitement en phase avec leur volonté vulgarisatrice de qualité constituent aussi une excellente introduction à un travail tel que celui de Fredric Jameson, dont les deux tomes ambitieux des « Archéologies du futur » (2005), « Le désir nommé utopie » et « Penser avec la science-fiction », approfondissent nombre des lignes d’impulsion évoquées ici. Une lecture précieuse et résolument optimiste dans un univers dominant qui cherche, évidemment, à renvoyer le plus souvent possible l’élan utopique et son « Principe espérance » au magasin des idées dépassées ou des dangers pour la sourde domination du capital contemporain (tout en témoignant d’une habileté redoutable, particulièrement bien notée par Thomas Bouchet, pour en récupérer soigneusement les apparences les plus marchandisables et les moins critiques) – alors que le potentiel émancipateur et imaginatif en est largement intact, bien au contraire.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Utopie

« Partir en utopie, c’est entre autres refuser d’être immobilisé-e, plaqué-e au sol par la misère, par l’injustice, par la police, refuser de céder sous l’emprise de la violence, refuser d’être maintenu-e face contre terre »… Dans un ouvrage qui souffre (mais c’est le format de la collection qui l’impose) peut-être de sa brièveté, l’auteur entend présenter l’utopie dans tous ces états, montrant à quel point c’est « mot fragile, mot sensible, mot qui file entre les doigts, mot disponible, et tout cela fait peut-être, paradoxalement, sa force ». Il souligne la variété des usages d’un concept, valorisé par les uns, quand d’autres lui donnent connotation péjorative, renvoyant les rêves d’ « utopie » à des cauchemars autoritaires, fustigeant les « utopistes » comme des songe-creux. Rappelant les œuvres et les penseurs, de Thomas More à Ernst Bloch et au-delà, qui lui ont donné ses lettres de noblesse, l’historien décrit le destin de la pensée de l’utopie, comme quête d’une société harmonieuse, parfois dévoyée en projet totalitaire. Les chapitres les plus intéressants sont ceux qui rappellent l’idéal d’harmonie un peu fou d’un Fourier, mais aussi les déclinaisons de l’utopie socialiste avant son appauvrissement contemporain sous les coups, en particulier, d’un Manuel Valls, ou encore les mésusages du mot lorsqu’il devient marque commerciale – Utopie, Utopia – vecteur d’un triste rêve de consommation, une trahison qui trouve son point culminant lorsque le mot est employé par les architectes et gestionnaires des « outlets », ces vastes centres commerciaux, pour conforter l’image de « cocon » heureux qu’ils souhaitent donner de leurs espaces. Après nous avoir ainsi incités à la méfiance face aux acceptions d’un mot aussi chatoyant que fuyant, l’ouvrage s’achève sur un appel à retrouver les vraies racines de l’utopie dans la volonté de réaliser « ensemble autrement » un avenir qui ne ressemble à rien de ce que nous connaissions jusqu’ici, à l’image peut-être de ce qu’ont ébauché, comme vie communautaire, les acteurs résistants de la ZAD de Notre-Dame des Landes. Alors, tous, encore, aujourd’hui et demain, des utopistes ?
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Utopie

Ce court essai fait le choix du minimalisme et du mystère par une couverture noire qui ne laisse rien paraître à ses futurs lecteurs. Pas de résumé en quatrième de couverture et même la citation qui recouvre l'ouvrage est tronqué. C'est qu'ils peuvent se le permettre: l'intérieur est d'une limpidité et clarté très rare pour un livre théorique. J'ai beaucoup aimé refaire l'historique de ce mot si lourd de sens, en voir toutes ses utilisations aux fils du temps. Comment il a été embelli par des projets humains et littéraires, ou bien détourné pour l'utiliser en insulte, en argument commercial ou en le chargeant de cynisme. Dans tous les cas on en découvre une multitude de facettes tout au long de l'ouvrage et l'auteur insiste sur l'importance de ne pas le cantonner à une définition stricte et rigide.

Ce livre est donc une très belle introduction pour tout ceux qui s'interrogent sur l'utopie, et une très bonne réserve bibliographique pour ceux qui souhaitent aller plus loin.
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De colère et d'ennui

Insurrection, choléra : Thomas Bouchet retrace les événements tragiques de 1832 en France à travers le point de vue de quatre héroïnes fictives issues d’archives bien réelles.


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Les fruits défendus : Socialisme et sensualit..

La sensualité est-elle soluble dans le socialisme? Dans son essai Les Fruits défendus, Thomas Bouchet examine les rapports entre gauches et plaisirs.
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