Voilà, Flore, ce qui se passe lorsqu'on ne s'attaque pas immédiatement aux racines du mal. C'est ce qui arrive si on laisse les choses s'encrasser... On devient spectateur de son déclin, de sa propre mort.
Rémi l’imaginait mal en tailleur jupe, en train de décrasser des casseroles. Elle devait plutôt surfer sur le net et les réseaux sociaux, l’occupation favorite des femmes. Elle ne lui proposa ni bière, ni café, ni même un verre d’eau. Si elle voulait s’intégrer dans la région, il faudrait qu’elle comprenne vite que cela faisait partie des usages incontournables que d’offrir à boire à un visiteur. (Gwenola Kerjean)
Un, se lever. Deux, se laver. Trois, vite déjeuner. Quatre, des lèvres s’effleurant à peine pour se dire au revoir. Ils n’en étaient pas encore arrivés au stade « bise sur le front », mais n’en étaient plus très loin. Cinq, chacun dans sa voiture pour une course contre la montre. Six, le soir, rentrer. Sept, converser quelques instants presque par politesse, puis chacun retournait devant un écran, jusqu’au souper. Huit, se coucher, si possible, avant minuit. Parfois faire l’amour, au moins le vendredi ou le samedi. Même le sexe était devenu mécanisé, fonctionnel. Leurs journées étaient décomposées ainsi, en huit partitions monotones. (Rutger et Heike)
La neige se faisait donc plus rare et un sentiment d’insécurité s’était installé dans le paysage condruzien, sensation inexistante vingt ans plus tôt. Deux phénomènes que les habitants mettaient sur le compte de la mondialisation, du réchauffement climatique, de l’élargissement de l’Union européenne et pour certains, de la perte de l’hégémonie du parti socialiste en Wallonie et de la fermeture des mines de charbon dans les provinces de Liège et du Hainaut…
S’instruire était sa drogue douce. Une autre façon de voyager, malgré son emprisonnement à perpétuité à la ferme. Mais qui pouvait imaginer son degré d’érudition, lorsque les gens le voyaient en salopette ou en tenue d’agent de quartier. Il reprit sur un ton las : — Tu sais, la réalité dépasse souvent la fiction, continua-t-il... En Angleterre, une femme au foyer, au-dessus de tout soupçon, a été condamnée récemment pour meurtre avec préméditation. Elle avait fait boire des litres d’eau à son mari et il en est mort. Le comble, car c’était un alcoolique notoire. Cela aurait pu passer inaperçu, si la sœur du gars n’avait pas insisté pour qu’une enquête soit ouverte. On avait fini par trouver dans l’historique de l’ordinateur de la veuve, la preuve qu’elle avait consulté des sites médicaux qui parlaient de l’intoxication à l’eau.
Peut-être que tout être humain, pour être tout à fait équilibré, devait avoir des goûts populaires dans un domaine particulier. Comme ces grands philosophes qui refaisaient le monde avec leurs Socrate, Platon et compagnie, mais qui ne pouvaient pas rater un match de foot du Mundial.
- As-tu déjà arrêté un ami, Jean-Marie ?
- Non, mais quand tu deviens policier, c’est difficile l’amitié. Flics, contrôleurs des impôts, psychiatres, on est un peu tous dans le même sac. On évite de vous inviter à votre domicile, par peur qu’on découvre je ne sais quoi…
La Terre semblait dire au monde entier qu’il était peut-être déjà trop tard. Cela ne leur faisait pas baisser les bras. Au contraire, il fallait agir de plus belle, frapper de plus en plus fort, retrousser ses manches, affirmait-il. Il la fascinait. Cette lueur qu’il avait dans les yeux, de celle qu’ont les hommes habités par des idéaux. Mais quelque chose avait changé en lui. D’habitude très planificateur, Dimitri était devenu ces derniers temps, plus nerveux, impatient. Subissait-il trop de pression d’avoir ouvert tous ces commerces ? Bientôt, il y aurait ce magasin de meubles recyclés. N’en faisait-il pas trop ? D’autant plus que, comme il le lui avait rappelé, le jour J approchait à grands pas.
« J’espère que les générations futures pourront un jour manger autre chose que des légumes imprégnés de pesticides ou du thon aux métaux lourds. » (Dixit Dimitri)
Elle avait d’abord résumé l’intrigue et couché un premier jet, pour le prologue et les trois premiers chapitres. Elle avait modifié les noms des gens, implanté le décor dans une petite ville américaine de la côte est, près de la frontière canadienne, faisant déjà le calcul marketing que cela se vendrait mieux à l’international qu’une fiction qui se déroulait dans un village du Condroz belge. Elle avait peut-être tort. (Lydie)