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Citations de Victor Jestin (104)


Au petit matin les boites de nuit trahissent. Elles révèlent d'un seul coup la laideur et la saleté. Les lumières s'allume, et la musique s'éteint ; l'air sent la sueur et l’usine, le sol colle, le palmier est en plastique. Il y a des murs et un plafond, la pièce a des dimensions. Pire, tout le monde s'en va. Reste les plus saouls, les plus désespérés, comme des enfants qui refusent d'aller au lit. Le videur les chasse. La fête est finie. Il n'y a plus que le bâtiment vide, et moi, oublié sur la banquette du fond.
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Victor Jestin
Je suis rentré. Sur la route, j’ai croisé un joggeur levé de bonne heure qui rejoignait la forêt. J’ai retrouvé ma tente et je me suis endormi habillé. J’allais vivre ma dernière journée de vacances, la plus chaude – la plus chaude, même, qu’ait connue le pays depuis dix-sept ans. On nous avait prévenus. On l’avait annoncé dans les haut-parleurs fixés sur les pins, dont l’un juste au-dessus de ma tête qui me réveillait chaque matin. p. 16
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J'ai reconnu ce regard que souvent je n'avais fait que sentir, ce regard des dîners de famille, quand on me disait quelque chose qui pouvait me blesser – alors elle me scrutait en silence, elle surveillait mes infimes réactions avec inquiétude.
Page 76
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– Je finis mon verre et je vous rejoins! ai-je crié. La banquette sans accoudoirs m’a paru d’un coup trop grande. J’ai aspiré le fond de mon verre et la paille a fait des bulles dégoûtantes. Je me suis allumé une cigarette. Encore quelques minutes et je me lance, ai-je décidé. La piste s’étalait comme une mer à mes pieds. Là se trouvaient donc les filles à aborder. C’était un bal. Ça ne valsait pas mais en fait c’était tout comme un bal, archaïque et cruel. Chacun se cherchait un partenaire. Si jamais cette foule formait un nombre impair, l’un de nous se retrouverait seul au bout du compte, et cela risquait bien d’être moi, comme aux chaises musicales de mon enfance. Les gens se pressaient. Ils se ressemblaient. Tous se confondaient dans cette lumière, jetée sur eux pour lisser leurs visages, gommer leurs boutons, effacer leurs formes et leur en inventer d’autres. C’était une ambiance excitante, dangereuse aussi, car tous ici, devenus plus beaux, devaient redoubler d’attentes, saturer la boîte de désir, plus qu’elle n’en pouvait contenir. Il existait certainement quelque part un interrupteur pour rallumer les néons du plafond, faire que tout le monde sursaute, se réveille soudain dans les bras d’inconnus rouges et suants.
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Oscar est mort parce que je l’ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d’une balançoire, comme les enfants dans les faits divers. Oscar n’était pas un enfant. On ne meurt pas comme cela sans le faire exprès, à dix-sept ans. On se serre le cou pour éprouver quelque chose. Peut-être cherchait-il une nouvelle façon de jouir. Après tout nous étions tous ici pour jouir. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas bougé.
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Tout était triste et lent ce dimanche. Le sol était détrempé, boueux, couvert de flaques et de petits ruisseaux. Les campeurs creusaient des rigoles, étendaient leurs affaires sous le soleil disparu. C'était une défaite générale. Les tubes de crème solaire et les matelas gisaient. Tout gisait dans la grisaille.
Page 130
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Quand tu parles de musique, tes yeux changent, on a l'impression que tout va mieux.
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Il m’a paru évident qu’Oscar devait disparaître. Je n’ai pas réfléchi davantage. J’ai senti, peut-être, que c’était cela la vraie bêtise, mais je l’ai faite, pour faire quelque chose. J’ai saisi ses jambes. Il n’était pas si lourd. Je l’ai traîné. Nous avons progressé lentement, d’abord dans le parc, puis sur les graviers d’une allée, sur l’herbe d’un emplacement vide, sur une fine couche de sable. Le bruit du corps variait selon la surface. Je me concentrais sur mes gestes pour ne pas songer à autre chose, ne pas savoir ce que signifiaient ces instants. Je traînais un corps, simplement. Avant la dune, j’ai fait une petite pause. Tout était calme. Oscar était si calme. L’air était plus frais, presque agréable. Ce devait être le beau milieu de la nuit. Nous avons grimpé plus lentement encore, nous enfonçant dans le sable, nous accrochant aux chardons. Beaucoup s’y blessaient en courant pieds nus. Enfin, la plage est apparue. Elle était déserte, jonchée de déchets qu’il faudrait balayer le lendemain. Je me suis dit que je pourrais laisser Oscar dans l’eau pour que le ressac l’emmène. Mais la mer était trop basse. Un long chemin me séparait d’elle et j’étais déjà essoufflé. Je m’en suis tenu au trou. J’ai lâché Oscar, j’ai parcouru la dune et je l’ai trouvé sans peine, près du drapeau de baignade. Il n’était pas assez grand. Je me suis accroupi et je l’ai élargi aux dimensions d’un adolescent. Je n’aimais pas le contact du sable qui rentrait sous les ongles et faisait crisser la peau, mais je m’y suis confronté cette fois sans manières, à grands mouvements de bras volontaires. Quand j’ai été satisfait, je suis retourné chercher Oscar. Je l’ai amené jusqu’au trou et je l’y ai fait entrer, les jambes pliées sur le côté. Son visage était sale, plein de poussière. Je l’ai nettoyé du bout des doigts. Puis j’ai rejeté du sable dessus et sur tout son corps également. Cela m’a pris beaucoup de temps. Je ne pensais à rien. J’écoutais mon souffle et le bruit des vagues.
Enfin le trou n’a plus été que du sable, et Oscar, sous terre, a pesé moins lourd. Il a même disparu un peu. Je me suis redressé et j’ai regardé le ciel clair. Une petite musique s’est élevée dans les airs. J’ai compris que le bruit venait d’en dessous. Je me suis remis à genoux et j’ai creusé, défaisant tout mon travail. C’était bien enterré. La musique tournait en boucle. J’ai fini par atteindre Oscar – son téléphone sonnait dans son maillot : Luce appelle. Je l’ai éteint et fourré dans ma poche. Personne ne l’avait entendu. Tous les gens étaient loin. J’ai repris mon souffle et j’ai rebouché le trou, aussi soigneusement que la première fois. 
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Je devais me bouger. Il me semblait sinon pouvoir rester assis des heures et des jours sans que personne vienne me chercher. Je devais essayer, tenter le diable. Je me suis levé.
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Oscar est mort parce que je l'ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d'une balançoire, comme les enfants dans les faits divers. Oscar n'était pas un enfant. On ne meurt pas comme cela sans le faire exprès, à dix-sept ans. On serre le cou pour éprouver quelque chose. Peut-être cherchait-il une nouvelle façon de jouir. Après tout nous étions tous ici pour jouir. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas bougé. Tout en a découlé. p. 9
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Il n'y avait plus qu'Oscar. Il cadavrait comme une eau stagne tout contre moi. Il me collait à la peau. Par moments, je ne savais plus depuis combien de temps il était mort, depuis combien de jours je le traînais avec moi dans les allées. Et puis, n'étais-je pas déjà coupable bien avant l'instant de sa mort ? N'avais-je déjà pressenti dès l'enfance que tout m'emmenait vers cette histoire. Rien n'était nouveau.
P 95
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La seule chose que je veux, au fond, c'est être amoureux.
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Oscar est mort parce qu'il a voulu mourir, parce qu'il était triste et qu'il a eu l'idée de s'enrouler les cordes autour du cou pour que quelque chose advienne. Oscar est mort à cause de ceux qui ne l'ont pas compris. Oscar est mort à cause de moi qui n'ai pas bougé, et je n'ai pas bougé car à cet instant je ne pouvais pas, je préférais mourir, comme lui, et nous nous sommes regardés mourir l'un l'autre, pendant que les autres dansaient.
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- Tu te protèges bien, Léo ?
- Oui.
- Je veux dire : tu mets de la crème ?
- Oui.
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« -Et ça ne te lasse jamais? Les soirées ne se res-
semblent pas trop? »
T'ai fait non de la tête et cherché des arguments.
J'aurais pu lui parler de la pauvre routine de mes journées, de mon ennui au travail et de tous les petits gestes répétés du matin au soir, se lever, s'habiller, partir de chez soi en prenant les clefs, revenir et se recoucher, tout cela mécaniquement, à l'aveugle, comme on sinue sans se cogner dans l'obscurité d'une chambre connue par cour. Mais je me suis ravisé pour ne pas plomber l'ambiance.
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J'ai quitté la dune et j'ai tourné dans le camping pendant une heure, peut-être plus. Je remuais les lèvres sans parler . Les gens m'esquivaient. Le son des haut-parleurs était plus fort qu'avant. Je fermais les yeux pour moins entendre la musique, qui se réverbérait sur les corps et les tentes comme la lumière sur les corps des allées.
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- Et toi, où est-ce que tu iras quand ce sera terminé ?
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C'était, en pire, le même sentiment qu'au début de l'adolescence, vers les quatorze ans, quand à la fin du collège mes amis avaient cessé de jouer dans la cour pour se tourner vers les filles, parler des filles, les convoiter de toute la force qu'ils mettaient jadis ailleurs, devenus trop sérieux, obsédés, arrachés à l'enfance, et tant pis pour moi si je voulais continuer à jouer, courir et faire des caches-caches pendant toute la récré.
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J'étais une petite girouette dans son vent, mon cœur valdinguait au gré de ses regards.
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J’avais fait peu de bêtises en dix-sept ans. Celle-ci a été difficile à comprendre. C’est allé trop vite et trop fort. Je me suis approché. J’ai touché l’épaule d’Oscar, puis je l’ai secoué et frappé. Son regard vide a glissé sur moi quand je l’ai retourné. J’ai voulu réfléchir mais des voix sont arrivées depuis la plage. Un petit groupe rentrait dormir. Ils parlaient fort, ils étaient saouls eux aussi. J’ai cru qu’ils pourraient m’écouter. Je les ai appelés mais ma voix n’est pas allée loin, elle est restée près de moi. Ils se sont éloignés en riant. « Vos gueules ! » a crié un campeur depuis sa tente. Ils ont disparu. La musique aussi s’est éteinte sur la plage. Les derniers sont passés. Je me suis tenu debout dans le parc, longtemps, sans me cacher. Enfin j’ai été absolument seul, avec Oscar, qui continuait d’être mort à mes pieds.
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