Virna Lorentz

Tres importante le rôle de la descendante du couple car elle ;montre l'attitude acquise avec le temps à l'egard des mentalités du passé. Elle fait dialoguer les lieux mais aussi les temps differes. La plume de Virna Lorentz revele la magie du roman,,,

"De la littérature émane l'insouciance sans laquelle garder la tête dans les nuages serait une utopie." VIRNA LORENTZ

Madison coupa le contact. Droit devant, le John Ford Point s’offrait majestueusement à leurs yeux. Une force prodigieuse émanait de cette vastitude sauvage. Submergés par une incroyable sérénité, les deux amoureux grimpèrent main dans la main, sur le capot de leur GMC Acadia. Tout en s’adossant au parebrise, ils se blottirent l’un contre l’autre à l’image des couples des drive-in , captivés par le spectacle en trois dimensions qui se déroulait à l’entour. Imperturbables, comme figés pour l’éternité dans cette réalité sublimée, ils vécurent intensément l’instant. Dans le ciel crépusculaire, le soleil empourpré darda ses derniers rayons à travers les nuages effilochés. Les prémices du soir enveloppèrent le rouge de la vallée d’un voile mauve. L’heure était exquise, insaisissable. Greg et Madison se régalaient de cette féerie visuelle en perpétuelle métamorphose, jusqu’à ce que les premiers frissons parcourent leurs corps engourdis. Dans l’habitacle de la voiture, Greg prit le volant tandis que Madison, frigorifiée, glissa ses mains sous ses fesses, sur le siège chauffant.

Dès que j’ai été en âge d’apprendre, mon père m’a transmis toute sa connaissance de la lecture et de l’écriture. Nous étions fiers de partager ce savoir acquis à force de persévérance, d’autant que mes progrès se révélaient au fil du temps. Jusqu’au jour où j’ai pu lire et écrire sans son aide. Je lui ai alors promis de transmettre son savoir, tel un héritage, à tous ceux que cela pourrait rendre heureux.

Son irrépressible appréhension lui jouait des tours. Quant à sa perception de la réalité, déformée de façon récurrente au gré de son imagination, elle laissait souvent à désirer.

L’invention des sorcières et de leurs pouvoirs dissimule ainsi l’étendue de leur ignorance face à des phénomènes inexpliqués.

Eu égard à sa modeste condition, Hermine avait appris l’humilité, mais devait-elle cependant renoncer à sa soif de connaissance ? Était-ce un péché pour une fillette que de vouloir apprendre à lire ? La question restait entière. Et à qui pouvait-elle bien la poser sans risquer de paraître vaniteuse ? Là encore, aucune réponse ne lui vint à l’esprit. Personne ne savait lire chez les Le Normand, alors pourquoi elle ? Pourquoi une fille, qui plus est la benjamine de la famille, fortement désavantagée par son pied bot – et de ce fait difficile à marier au dire de tous – aurait-elle le privilège d’en apprendre plus que les siens ?

Ce rire fort contagieux, dont elle seule avait le secret, se répandit comme une traînée de poudre. Certains des enfants laissèrent libre cours à leur hilarité. D’autres tentèrent, en vain, de se contenir, laissant leurs pommettes s’arrondir, puis rougir sous la pression des fous rires étouffés. Les joues écarlates gonflaient comme des bulles de savon, avant de se percer pour mieux voler en éclats.

Comme pour mieux échapper à ses angoisses, elle aimait à régner sur un monde dont elle-même fixait les règles. Elle se plaisait à miser sur des signes qu’elle guettait et interprétait comme des présages.

En apparence, il était tout aussi aisé de s’attirer les foudres de la Jehanne que de la rasséréner, sans jamais saisir les raisons profondes de cette versatilité pour le moins déconcertante. La petite n’était pas pour autant à l’abri de représailles ultérieures, elle le savait bien. Imprévisible, sa mère était capable de la priver de souper, le soir venu, laissant ainsi éclater, au vu et au su de toute la famille, son audacieuse irrévérence du matin.

De mémoire d’homme, les Le Loup ont depuis toujours élevé le bétail de nos terres. Ils ont su amasser du bien, ces gens-là, tu peux me croire. Mais dis-moi… le Clovis se trouvait au moulin lorsque tu t’y es rendue hier, n’est-ce pas ?

De cette déplorable conception du partage était née une relation fangeuse et absconse dans laquelle, à l’évidence, l’amour maternel n’avait pas réellement sa place. Or, ce jour-là, Mine ne voulait pour rien au monde heurter sa mère. Pas une once de son indécente alacrité ne devait transparaître. Le bonheur de sa toute nouvelle amitié était enseveli, tel un trésor, au plus profond de son cœur. Mais l’esprit chafouin de la Jehanne avait su lire dans les yeux d’Hermine le message codé du ravissement.

Ce cœur a une bien longue histoire, mais il a toujours protégé ceux qui l’ont possédé. Voilà pourquoi, depuis qu’elle m’en a fait don, je le partage avec Clovis. Pour qu’il me protège moi ainsi que mon meilleur ami. Désormais, il te protègera toi aussi !

En clair, nous veillons à ce que les miséreux en guenilles aient au moins un quignon de pain bis à se mettre sous la dent, faute de pouvoir se réchauffer au coin de l’âtre, le soir venu ! Quant aux pauvres bêtes persécutées par les superstitieux, nous nous évertuons, coûte que coûte, à leur sauver la mise !

Les bassesses me révoltent, la vilenie me répugne, quant à l’injustice…

Que Dieu te bénisse, fillette ! Tu es toute jeune, mais je suppose que tu as déjà dû subir toutes sortes d’humiliations à cause de ta patte folle, pas vrai ? Et c’est sans doute pour cela que tu ne peux ignorer le malheur d’une miséreuse… N’oublie jamais ceci : sois miséricordieuse et le ciel t’aidera. Sache que le mécréant qui reste de glace face à la détresse de son prochain brûlera en enfer à tout jamais !

Hermine aimait à croire que le langage verbal n’était pas uniquement l’apanage des hommes, mais aussi celui des animaux. Sinon, comment aurait-elle pu confier les vicissitudes de ses états d’âme à ces vaches laitières qui, jour après jour, au fil de longues heures de traite, lui accordaient toute leur attention et ne l’interrompaient quasiment jamais ? Fantaisie ou imaginaire d’enfant… Ainsi, le langage passait nécessairement par le choix d’un prénom.

Certes, les bêtes ne connaissaient pas une existence bien plus réjouissante que leurs maîtres. Elles trimaient, souffraient et mouraient sans que quiconque ne s’apitoie sur leur sort… à l’exception d’Hermine. Rien ni personne n’indifférait la petite au pied bot qui, au sein de sa famille, grandissait dans une cruelle indifférence, payant ainsi le lourd tribut de sa disgrâce.

Du haut de ses dix ans, elle prenait étrangement conscience que le nouveau-né ne gagnait le droit de vivre qu’au terme d’une lutte acharnée, tandis que la mère endurait un véritable supplice avant la mise bas. Hermine sentit quelques larmes perler sur ses joues rosies par le froid et l’émotion. Elle tenta maladroitement de les réprimer.

Une fille claudiquant sur une patte laide et difforme ! Une patte qui lui donnera, à coup sûr, un air de gueuse pitoyable. Aucun gars ne l’engrossera ni ne la mariera jamais, par crainte d’être raillé ou frappé à son tour par la malédiction… Ta fille restera pucelle, crois-moi… En voilà un châtiment ! Une brebis galeuse ! Qu’as-tu donc fait au ciel pour que le malheur s’abatte si cruellement sur notre famille ?