Il est dans la nature, dit-elle, des choses que les yeux de l’homme ne sont pas faits pour voir, ni ses oreilles pour entendre. Les esprits familiers les révèlent parfois à de rares privilégiés, mais frappent impitoyablement les curieux qui veulent y mettre le nez. Malheur donc à ceux qui s’obstinent dans leur entêtement aveugle et cherchent à s’introduire dans ce monde mystérieux, intermédiaire entre le ciel et la terre ! Malheur aux incrédules qui doutent de la puissance de ces esprits et prétendent expliquer toute chose au point de vue naturel ! Malheur surtout à ceux qui, n’ayant pas la foi, viennent jusque dans leur sanctuaire braver les confidents de ces divinités sublunaires ! Leurs animaux périront, atteints de maladies étranges, que l’art se déclarera impuissant à guérir ; leurs plus beaux champs d’avoine et de seigle se transformeront en clos incultes, et la mort ira s’asseoir au foyer de leur famille !
Il avait l'humeur joyeuse, la parole facile, colorée, doucement railleuse, mais toujours bienveillante. On l'aimait beaucoup, parmi les universitaires, tant à cause du cachet de sympathique distinction dont toute sa personne était empreinte, que par la bonté de son caractère et la solide intelligence qu'on lui savait.
Il y a toujours prétexte aux aspirations humaines. Quand ce n’est pas pour soi que l’on travaille, que l’on s’échine, que l’on se martelle le cerveau, on le fait pour ses descendants, pour ceux qui devront continuer l’œuvre commencée, transmettre aux âges futurs le fruit des semences arrosées de nos sueurs.
Que voulez-vous ?… L’homme est ainsi fait, et il n’y a pas moyen d’en changer le moule.
Jamais musique ne parut plus harmonieuse aux oreilles des braves époux. Ils se regardaient les yeux humides, rayonnant de bonheur, comme si cette voix d’enfant venait de ressusciter leurs espérances tant de fois déçues.
Cependant, Marianne changea le poupon, lui fit boire un peu de lait sucré et l’installa commodément près du poêle. C’était une délicieuse fillette d’environ trois mois, un chérubin rose et blond, à faire pâmer d’aise l’homme le moins désireux de paternité. Elle portait à son cou, suspendu à une cordelette de soie, un médaillon renfermant le portrait en buste d’une belle jeune femme.
...le silence qui règne partout, comme si la terre se taisait pour mieux entendre la grande voix du fleuve entrechoquant ces banquises flottantes, balançant ces icebergs ou démolissant d'un heurt géant quelque château de glace allant au fil de l'eau, — tout cela est bien beau à contempler et ne manque certainement pas de poésie…
Mais c'est de la poésie triste, de la beauté empreinte de mélancolie.
Si l'âme s'élève, le cœur se serre.
L'homme se sent petit en face des grands spectacles de la nature, et Instinctivement il souhaite les rapetisser, pour qu'ils conviennent mieux à sa taille.
Chose étrange, en effet, le corps a beau vieillir, s’user, tomber en décrépitude, l’attachement aux choses de la terre, lui, semble rajeunir ; la voix de l’intérêt n’en acquiert que plus de force ; l’ambition – cette passion sénile qui grandit à mesure que s’opère la décadence corporelle – n’en devient que plus insatiable.
Oui, elle finirait par m'aimer, à coup sûr… J'en ferais tant pour elle !… Je braverais les colères du Golfe : le vent, la mer, la foudre, n'importe quoi !… J'irais lui tuer des ours jusqu'à la baie d'Hudson, pour le seul plaisir de lui en offrir les peaux…
Il nous faudrait ici la plume de Rabelais pour décrire cet engloutissement pantagruélique, cette absorption incroyable de volailles farcies, de pommes de terre frites, cette effrayante consommation de rôtis de lard gros comme des pavés, de croquignoles larges comme des barrières…
C’est que nos pères savaient manger, ratatinette ! c’est que, comparés aux nôtres, leurs estomacs étaient de véritables malstroms en miniature où disparaissait en un clin d’œil, pour chacun d’eux, ce qui aujourd’hui constituerait le repas de quatre hommes ordinaires.
Oh ! les beaux convives que nos pères, et quels fiers buveurs ils faisaient !
Pour les vieux de bonnes causeries près de l'âtre, l'évocation du passé et des souvenirs de là-bas !… Pour les jeunes, la connaissance à faire, l'intimité grandissant à mesure qu'on se connaîtrait mieux, la joie de se revoir après s'être quittés, les suaves émotions de l'amour partagé : quelle porte entr'ouverte sur l'avenir ! et, par cet entrebâillement, que de perspectives riantes, vaguement éclairées à la lumière de l'imagination !
Le cœur de ces adolescents, exubérants de force et de santé, secouait au contraire leur poitrine par ses heurts inégaux.
L'amour, la plus forte des passions, — surtout à cet âge de la vie — les tenait crispés sous son étreinte…
L'évolution morale inévitable était arrivée pour eux ; le coup de foudre du premier amour, — et du premier amour dans les circonstances particulières d'isolement où ils se trouvaient, — venait de les frapper…