William Francis Nolan

Quand la grande majorité de la population a moins de vingt ans, comment s'étonner qu'un jour les jeunes s'emparent du pouvoir ?
C'est ainsi qu'en 2116 l'Amérique est devenue une société cybernétique où les rapports entre les sexes sont illimités, où les notions de bonheur et de malheur n'ont plus cours, où une loi exige que tout individu, à son vingt-et-unième anniversaire, entre dans le "profond sommeil", c'est à dire la mort.
Une police spéciale est chargé d'abattre les rebelles.
Mais quels espoirs peuvent avoir ces fugitifs ? C'est ce que se demande le policier Logan qui se met délibérément hors la loi pour découvrir le secret du "Sanctuaire" - là où les hommes vivent et meurent librement.
(quatrième de couverture de l'édition parue à "Présence du Futur" en 1976)

Logan luttait contre la fureur qui le consumait. Rester un homme raisonnable, réfléchi-et pas une bête assoiffée de sang-lui demandait un effort de volonté considérable.

Les jeunes ne bâtissent pas. Ils utilisent.
Les merveilles de l'Humanité ont été accomplies par ces hommes d'âge mûrs et sages, qui vécurent sur cette terre avant nous.

Il sait que la fleur dans la paume de la jeune fille est devenue noire. Une fugitive.

Argos mourut deux fois.
Au delà du XXI° siècle, quand la jeunesse en colère prit le contrôle de la terre et abolit le voyage spatial, Argos fut abandonnée à elle-même sur son orbite, écrasée par le voisinage de Mars, la planète-silence. Ses miroirs solaires continuaient de capter une énergie vaine et la vie avait déserté son moyeu : ce n'était plus qu'une immense roue à rayons qui tournait, tournait, tournait dans la nuit éternelle de l'espace.
Jusqu'à l'arrivée des fugitifs.
Ballard connaissait l'existence d'Argos. Il avait vu en elle un foyer tout désigné pour accueillir ceux qui fuyaient en masse les limiers et se mettaient en quête du Sanctuaire....
(extrait du premier chapitre "Argos")

— Mais je croyais que le Penseur était mort… pour de bon ? s’étonna Jonath.

— Ses composants sont intacts. Gant a pu trouver le moyen de réactiver en partie certains d’entre eux.

— Depuis des mois, ressusciter le Penseur a constitué mon unique raison de vivre, dit-il désemparé. Et vous exigez de moi que je le laisse mourir ?
— Non, répondit Logan. Je ne vous demande pas de le laisser mourir, mais de le détruire. Une fois pour toutes. Afin que personne, jamais, ne puisse le ranimer. Afin que la machine ne commande plus à l’homme.

Au cours des années 80, une subvention monstre à la recherche avait permis au Penseur de voir le jour. Symbole du génie technologique humain, il n’avait jamais été conçu pour devenir le maître de la planète. Son transfert, en 1991, dans les grottes de Crazy Horse, avait ouvert un nouveau champ à la recherche : on allait enfin pouvoir tordre le cou à la famine et à la pauvreté qui ravageaient la planète. Ce gigantesque complexe électronique était le descendant direct des cerveaux qu’on envoyait sonder l’espace, vingt ans auparavant, mais combien plus puissant ! Tout-puissant, pour ainsi dire. Un faiseur de miracles…

Ainsi rêvèrent les hommes, jusqu’à la Petite Guerre. Quand la jeunesse prit en main les rênes du pouvoir mondial, elle s’appropria aussi le Penseur et s’empressa de le reprogrammer pour le mettre à son service. Forts de cette formidable arme de répression, les nouveaux despotes instaurèrent la mort à vingt et un ans pour tous. D’un bout à l’autre de la planète, les cités tombèrent sous le joug de la monstrueuse machine. À travers ses milliards d’artères circulait en effet l’énergie nécessaire à chaque geste de l’existence.

Simultanément, deux questions qui n’en faisaient qu’une pénétrèrent l’esprit de Logan.
Qui est Gant ?
Un monstre. Le plus sanguinaire de tous les Limiers. Il me hait.
Pourquoi ?
Il commandait le secteur Los Angeles lorsque j’ai pris la fuite. Il a ressenti mon évasion comme un affront personnel. Une tache indélébile venant salir ses états de service. D’autant que je suis le seul Limier qui ait atteint le Sanctuaire.

En détruisant les fusées, les Limiers avaient porté un coup mortel au Réseau. Qu’en restait-il ? Des carlingues éventrées par la nitro qui rôtissaient sous le soleil de Floride, dévorées par la rouille. C’était là les fantômes des vaisseaux qu’Argos avait attendu en vain et qui devaient lui apporter le précieux ravitaillement, indispensable à la survie de ses habitants. Argos était morte avec le Réseau.

Recroquevillée sur elle-même, elle contempla la fleur de cristal noir incrustée au creux de la paume de sa main droite.
Quelques jours auparavant, elle était d’un chaud rouge sang. Sept ans auparavant, elle était bleu électrique. Et sept ans plus tôt encore, jaune soleil. Une couleur pour chaque période de sept ans de sa vie. À présent, elle avait vingt et un ans et la fleur était d’un noir mat.
Le noir du sommeil, le noir de la mort.

Les jeunes étaient au moins sûrs d'une chose : ils ne laisseraient plus jamais leur sort entre les mains de la vieille génération.
L'ère du gouvernement par ordinateur commença. La limite d'âge fut imposée avec le nouveau système, et les premiers groupes du P.S. furent formés.
Dès 2072, le monde entier était jeune.

Logan pensa aux Maisons du Sommeil peintes de couleurs gaies, avec les assistants en robes pastel, les chœurs des anges réglés électroniquement, la vaporisation d’hallucinogène qui effaçait des traits le bouleversement, la souffrance, et les remplaçait par un sourire fixe et joyeux. Il pensa à la tranquille chambre aux tombes, aux lumières douces, aux étagères d’aluminium, aux rangées de boîtes en lames d’acier portant les noms et les numéros des hommes.

Francis n’avait jamais l’air « vanné ». Pas de drogue ni de maison de verre pour lui. En tout cas pas avant le travail. Francis gardait toujours son sang-froid, il avait la tête claire, était sûr de lui. Pourquoi n’était-il pas comme lui ?
En fait, peu d’hommes du P.S. possédaient l’habileté, l’allant, de cet homme sans amis, sans amour, au corps maigre de mante religieuse, aux yeux noirs de chat en quête de sa proie. Méticuleux, redoutable, impitoyable. Seul le Penseur savait combien de fugitifs Francis avait abattus.