Citations de Yoan Smadja (64)
J’ai cru qu’ils m’étouffaient. J’ai cru qu’ils effaçaient ce que nous avions vécu. J’ai cru qu’ils étaient des dizaines ou des milliers.
J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi.
J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de moi.
J'ai cru que je ne serais plus que poussière. A mesure qu'ils s'avançaient en moi, mon corps s'enfonçait dans la terre. Peut-être que le Rwanda et moi ne faisions plus qu'un. Ils nous ont violés au même instant.
Il [lui] fut enseigné que seule la première bouchée d'un plat importe : si la crème d'un saint-honoré ne vous a pas transporté dès le premier chou, la recette a échoué. Au contraire, si vous êtes saisi par le réflexe de fermer les yeux pour mieux capter la subtilité du goût, alors le rêve s'instille et le désir de retrouver la sensation vous hantera.
« D’ordinaire, le printemps est une saison dorée.
En avril 1994, il n’en fut rien. J’y ai vu un pays tout vert, de terre et d’affliction vêtu.
La première impression se fait depuis le ciel. Je suis navrée pour les journalistes arrivés par la route , car leur a échappé ce que le Rwanda offre à la fois de plus singulier et de plus beau: l’enchevêtrement des collines , leur géométrie inachevée, tourmentée , d’une beauté à couper le souffle . La sensation d’une nature subjuguée . »
[Ils] se retrouvaient sur un constat simple : la démocratie est un édifice fragile qui, comme l'amour, n'atteint jamais au statut de réalité évidente et pérenne mais repose sur des fondations qu'il s'agit d'entretenir, par le renouvellement fastidieux des preuves de démocratie que sont le vote, le contrôle de constitutionnalité, la séparation des pouvoirs, la liberté de la presse. […]
Au citoyen le rôle de vigie. La démocratie gagnait sa réalité dans le respect scrupuleux des libertés individuelles et l'appropriation par l'ensemble des citoyens, individualités simples et corps constitués, de la chose publique.
(p. 29-30)
La peur est un mécanisme efficace pour installer l'idée d'un "eux contre nous" obsessionnel.
L'indépendance est une forme de jouvence, on n'en prend conscience que lorsqu'on la perd.
Étrange impression que cette compassion totale vis-à-vis de la détresse d'un autre si différent, victime d'un conflit sans lien apparent avec le périmètre de sa vie, aux implications si lointaines. Et pourtant.
J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de toi.
J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de moi.
J'ai cru que je ne serais plus que poussière. A mesure qu'ils s'avançaient en moi, mon corps s'enfonçait dans la terre. Peut-être que le Rwanda et moi ne faisions plus qu'un. Ils nous ont violés au même instant.
— Je sais que tu ne peux pas parler, mais pourquoi ne souris-tu pas?
J’ai esquissé quelques signes en agitant les bras: « J’aurais voulu être comme vous. » Ou du moins, c’est ce que signifiait le va-et-vient rapide de ma main entre lui et moi. Le jeune garçon a souri.
Mes poumons se sont emplis d’un air parfumé et heureux. Depuis, chaque matin et chaque soir, mes narines recherchent ce parfum précieux. Aucun son n’est sorti, mais, finalement, j’ai souri.
— Je vais te dire un secret: tes yeux parlent bien plus que toutes les bouches de Kigali réunies.
Le jeune garçon a sorti un couteau de sa poche et, en s’approchant du mur d’enceinte de la résidence, y a déposé le dessin d’une fleur.
Si même j’avais pu parler, Daniel, je ne sais ce que je t’aurais répondu ce jour-là. Aujourd’hui, alors que je me remémorais notre rencontre, j’ai regretté que mes yeux ne parviennent pas à te trouver. J’aimerais, sous le saule pleureur, qu’ils rient près de toi.
Tu me manques.
Rose
« Sacha et Benjamin ne comprenaient pas les slogans, la frénésie, l’impatience. Ils parvinrent uniquement à entrevoir la fêlure, le vertige.Puis la fureur, la colère ——une poêle d’huile chauffée à blanc dans laquelle on aurait jeté des êtres ——-qui y formaient autant de postillons brûlants ... »
C'est en avril 1994 que j'ai demandé à Dieu de divorcer.
Il s'était mis à parler d'elle [sa femme] et de leur fils. « Elle est mon sol, il est mon ciel. »
Lorsqu'on vous enseigne la souplesse, une myriade de solutions, de compromis, de possibilités fleurissent à chaque moment de votre vie. Mais lorsqu'on vous donne pour compagnons de jeunesse la rigueur, la droiture et l'honneur, seules deux options s'offrent à vous : tenir, quelles que soient les circonstances, ou craquer.
(…) si vous avez la prétention d'être journaliste, ce n'est pas de vous que vous devez parler, mais des autres.
(p. 14)
Le temps qui passe n'a sur nos vies que peu de prise. Les plus profondes blessures nous sont infligées en un éclair. Celles auxquelles on ne s'attend pas.
Les hommes étaient si doués pour perdre du temps.
Nous aurions dû comprendre ce qui se passait au Rwanda bien avant le printemps de cette année-là. Peut-être avions-nous tenté de ne pas voir, de nous rassurer. Peut-être avions-nous baissé la garde. Alors que les Rwandais et la communauté internationale auraient dû ne pas céder un pouce de terrain, ils avaient détourné les yeux, des années durant, face à l'hydre. Jusqu'au naufrage.
L'amour des lieux est une chose étrange, on n'en prend conscience qu'après les avoir quittés.
Que reste-t-il d'autre à un mourant que le désir de voir ses enfants heureux ?
Passé un certain âge, nos sociétés se méprennent sur l'émerveillement : on le prend facilement pour de la naïveté.