Creuser une ruche dans un tronc d’arbre est captivant, dans la mesure où cela ne devient pas une activité répétitive et mécanique, ce qui a le don de tuer le plaisir de travailler. Au rythme où le pratiquaient nos ancêtres, qui fabriquaient de 2 à 4 ruches par an, cela commence par une belle rencontre entre un homme et un arbre, dans le projet d’y creuser un nid pour les abeilles. Que rêver de plus beau ? L’avantage des outils traditionnels, du vilebrequin, de la tarière et de la gouge de charron, est précisément que cela “prend du temps”. C’est-à-dire que nous allons donner du temps au tronc d’arbre lors de son façonnage. Prendre du temps étant un acte de liberté des plus importants dans un monde marqué par une accélération globale.
Lorsque l’on ouvre une ruche pour la première fois, il y a quelque chose qui change dans notre rapport à la nature.
Traditionnellement, le paysan est inquiet. Exposé à la violence et aux caprices de la nature, il se fait du souci pour ses animaux. Après la récolte des ruches-troncs, plus d'un apiculteur devait partager les inquiétudes d'Alfred Velay, du rucher de Saint-Maurice-de-Ventalon. Pendant sept nuits consécutives à la récolte, il ne trouvait pas le sommeil, se tournait et se retournait dans le lit et finissait par réveiller sa femme pour lui avouer, avec une angoisse dans la voix : "Je crois que cette fois, j'ai trop pris de miel aux abeilles, elles ne passeront pas l'hiver."
Ce phénomène d'hybridation aérienne (durant le vol nuptial) paraît un peu atténué, du moins dans nos montagnes, du fait que les abeilles noires semblent, comme beaucoup d'autres espèces, pratiquer une homophénotypie positive : elles préfèrent, dans la mesure du possible, des partenaires sexuels de la même lignée évolutive. Hypothèse d'autant plus probable que, si ce n'était pas le cas, nous n'aurions pas dans les Cévennes, devenues une plaque tournante de l'exploitation apicole, d'aussi "beaux restes" vestiges des abondantes populations d'abeilles noires.
Dans la Déclaration universelle des droits de l'homme manquerait alors un passage sur le menu de l'humanité. Un article essentiel pour que cesse la maltraitance des abeilles et de tous les autres êtres vivants, qu'ils volent, qu'ils marchent ou qu'ils nagent : "Tout être humain a le droit et le devoir de manger une nourriture élaborée dans le respect de la biologie des populations animales et végétales."