Edith Thomas : Pages de
journal 1939-1944 - le témoin compromis
Olivier BARROT évoque l'époque de l'Occupation et présente les livres d'
Edith Thomas : Pages de
journal 1939-1944 "et" le témoin compromis ". Il trace un rapide
portrait de l'auteur, parle de son itinéraire vigilant et inquiet. BT
photos.
« J’ai essayé d’échapper à tous les mensonges, il ne m’est resté que le vide. »
Pour fonder la société de l’avenir dont rêvait la Commune, il fallait former des hommes et des femmes qui fussent libérés de l’empreinte cléricale. Il était nécessaire d’organiser un enseignement laïc, et de prévoir, pour les filles, dont l’instruction avait toujours été si négligée, de nouvelles écoles et, en particulier, des écoles techniques, qui les préparassent à gagner leur vie.
* Dévoilons d’emblée les clés du roman : oui, Edith Thomas a bien noué dans les années 1930 une passion peu réciproque, sur laquelle elle ne cessa de revenir sa vie durant, avec un Slave communiste prénommé Stefan ; oui, elle a été follement amoureuse, après la Résistance à laquelle elle participa aussi discrètement qu’ activement, d’une femme dont on dira plus loin l’identité et qui la quitta pour un homme ; oui, elle a souvent fantasmé la maternité quelle ne connut jamais, avec pour géniteur un certain Philippe, prénom d’un amant imaginaire qui apparaît dans son journal intime dès 1933… Stevan/Stefan, Claude, Philippe : trois des quatre parties du Jeu d’échecs sont directement autobiographiques. Mais le plus intime du livre est sans doute, ce sentiment d’échec, et ce désespoir lancinant, qui la tarauda sa vie durant. Comme le dit d’elle-même Aude, double d’Edith : « assez tendre et trop lucide, voilà au fond ce que j’étais. Ce sont là des conditions exceptionnellement favorables pour souffrir. »
Les années 1930 sont aussi celles d’un événement qui va à jamais marquer la vie d’Edith Thomas : l’attaque de tuberculose osseuse qui la frappe en 1931, à sa sortie de l’école des Chartes, et la maintient alitée pendant plusieurs mois .../... Ce n’est qu’après-guerre qu’Edith Thomas sortira, grâce à l’invention des antibiotiques, du tunnel de douleur de la tuberculose, dont elle gardera toute sa vie une claudication et une solide mésestime de soi.
* Jean Paulhan est l’amant de l’éditrice et écrivain Dominique Aury (la Claude du Jeu d’échecs), à qui elle a été liée par une très intense passion amoureuse entre 1946 et 1947. Laquelle prit fin quand Dominique Aury fit la connaissance de Paulhan, dont est inspiré le R. du Jeu d’échecs. Le personnage de la hiératique J prostituée Anne-Marie dans Histoire d’O a vraisemblablement été inspiré à Dominique Aury par son ancienne amante, même si cette dernière fut horrifiée par la violence et l’impudeur du roman. Les deux femmes restèrent, après la fin de leur liaison, intimement très proches, se téléphonant chaque jour, jean Paulhan et Edith Thomas ne se réconcilièrent, après une longue brouille, qu’en 1967.
C’est comme si chacun n’avait jamais à sa disposition qu’un même patron, taillé une fois pour toutes, le jour de sa naissance, par quelque bonne ou mauvaise fée. La mienne sûrement était assez carabosse
Ce qui importe, quand un oiseau chante, c’est l’oreille qui l’écoute. Ce qui importe, ce n’est pas l’eau, mais celui qui s’y baigne. Ce qui importe, ce n’est pas le soleil, mais celui qui s’y brûle. Ce qui importe c’est la résonance en chacun de toutes choses, et que nous ayons été un moment, l’une pour l’autre, le chemin d’amour qui nous dépassait.
J’avais été persuadée que la fin est incluse dans les moyens employés pour l’atteindre et que les moyens qui admettent le mensonge et la trahison parviendraient à une fin qui serait, elle aussi, un mensonge et une trahison
A notre porte, le monde commençait d’exister, mais rien, au-dehors, ne permettait de déceler notre secrète féérie. L’hiver se passa ainsi. Au printemps, nous résolûmes d’aller vivre ensemble
– Vous êtes toujours en quête d’absolu, disait Claude. Il n’y a pas d’autre absolu que l’instant.
J’essayais, comme l’on part en vacances, d’entrer de plain-pied dans cette très vieille sagesse. Claude m’y attendait de sa grâce singulière. Il me suffisait qu’elle fût assise sur mon divan. Qu’elle me regardât de ses yeux gris, qu’elle me sourît avec cette secrète douceur, pour que l’instant fût saisi dans sa plénitude, l’espace d’un instant.
Beaucoup de femmes qui s’engagèrent dans les rangs de la Commune ne semblent pas y avoir été poussées par des motifs idéologiques. Certaines se contentèrent d’accompagner leur mari ou leur amant dans les rangs des fédérés. Mais d’autres, au contraire, accomplirent, pour la première fois, un acte politique, participèrent, pour la première fois, à la vie politique, dont elles avaient toujours été exclues.
la considérer comme un être libre, extérieur à moi, comme une personne, dont les droits devaient primer mes désirs