La vie, c’est comme la guerre, ma petite Maud, les seuls vainqueurs sont ceux qui survivent.
Nous vivons dans ce que les journalistes de centre-ville appellent une zone périurbaine, où les maisons et les vies se ressemblent sans être exactement les mêmes, fabriquées de bric et de broc, agrégats de parpaings, de métal de Placo et de bois, où tout est plus ou moins provisoire, plus ou moins définitif, les maisons comme les existences.
Les enfants n’aiment pas entendre leurs parents jurer, gueuler. C’est que quelque part, quelque chose ne va pas.
Chaque matin nous déjeunons tous ensemble. Papa et maman préparent des petits déjeuners dont seules les quantités ont varié depuis notre enfance. Ce sont des moments rassurants, ceux où je ressens combien nous sommes une famille. Nos parents commettent des erreurs mais il ne fait aucun doute qu’ils nous aiment plus qu’eux-mêmes. Dire qu’ils seraient prêts à donner leur vie pour nous n’est pas une expression factice, c’est une réalité tangible éprouvée à chaque petit déjeuner.
À l’école, je suis un planeur, libre et silencieux, qui va haut, très haut, là où mon père était un sous-marin sans carburant qui allait bas, très bas, ne cessant de sombrer de CAP en CAP, peinant à changer de cap. Échouant.
La vie est faite de rencontres, je le sais déjà. Elle n’est même que cela. Je l’apprendrai.
"C'est à l'aube que l'enfant pénètre dans les bois, leurs tronc alignés dressent une muraille que peu de villageois franchissent et le coeur de la forêt demeure un refuge ."
Une fois que le mal est fait, il est fait. « L’âme n’est pas une ardoise », c’est son père qui le lui a dit sur son lit de mort.
Depuis que je gère notre budget, j’ai accès aux comptes de mes parents. Factures à régler en ligne, impôts, emprunts, prélèvements mensuels, procédures de rejet, frais bancaires… Jour après jour, je mesure l’anxiété économique dans laquelle ils sont plongés, la glu sociale, une peine de précarité à perpétuité appliquée par une armée de logiciels au service de l’État ou de grandes entreprises privées. Un logiciel ne s’apitoie pas, il ne déroge pas aux règles. Il dresse des murs de zéros et de un, de oui ou de non, dicte ce qui est possible et ce qui ne l’est pas.
A marée basse, tu savais à peine marcher, tu arpentais déjà la plage, fourchette à la main, à la recherche de deux trous concomitants dans le sable. "C'est la plage qui respire" avait dit ta mère, et tu avais ouvert la bouche en grand. Tu n'avais que quatre ans, et pourtant, il y a quelques semaines encore, me le racontant, tu revivais ton ébahissement d'enfant : la plage qui respire...