En 2019, je découvrais pour la première fois la plume d’Emmanuel dans son premier recueil de nouvelles consacrées à Célestopol, cette cité lunaire imaginaire à l’univers steampunk vernien et russophile. Il m’aura fallu du temps, il m’aura fallu explorer le reste de sa bibliographie pour y revenir, mais j’y ai replongé avec un immense plaisir.
Ce nouveau recueil, c’est 13 histoires (vive le nombre 13 !) et 1922, année de révolution. Il fallait oser ! L’auteur, comme ses lecteurs, n’a pas pu lâcher l’univers qu’il avait bâti pierre par pierre avec émerveillement dans Célestopol premier du nom, je n’ai donc pas été surprise de le voir y revenir. J’ai même adoré cela et d’autant plus dans le catalogue de l’Homme sans nom qui a permis à l’ouvrage d’avoir une superbe couverture signée Marc Simonetti avec l’une de mes nouvelles préférées comme inspiration.
Ce recueil, c’est donc l’occasion de recroiser avec bonheur la plume si riche et presque onirique, ici, moderne et pourtant surannée, d’Emmanuel dans ces ambiances steampunk que j’affectionne tant. Il reprend et réinvente son univers, ses ambiances, ses personnages dans 13 nouvelles histoires qui se vivent, se croisent, s’échappent et prennent vie. Les amateurs de Célestopol premier du nom seront ravie de retrouver le même genre de péripéties sur Terre et sur la Lune où les lieux et époques changent mais la nature des hommes reste la même. On est ainsi ravie de recroiser Arnrun et Wojtek et le Duc Nikolaï, qui sont à nouveau les personnages fil rouge de ces histoires, mais qui vivent parfois de sacrés chamboulements le temps de cette année folle que l’auteur nous raconte ici.
Il est ainsi question de politique, de droits sociétaux et de la lutte sociale (femmes, automates) qui va avec, d’anciens amours, de couples malheureux ou maudits, et bien sûr d’automates au milieu d’humains. Il y a beaucoup de drames sentimentaux et familiaux dans ce recueil, mais également des histoires plus surprenantes où se mêlent magie et prestidigitation, vol et correcteur de fortune. On croise également des personnages de divers horizons : Europe, Asie, Grand Nord…, ce qui donne un joli melting-pot culturel. C’est ainsi un réel plaisir de croiser des figures connues comme Marie Curie, l’archiduc François-Ferdinand, l’égyptologue Howard Carter et la mystérieuse Anastasia.
Tout cela prend place dans un fort joli décor steampunk aux belles influences magico-technologiques, avec une tension entre les deux entre séparation et rapprochement, symbolisée avec force par le Duc Nikolaï, personnage qui me fascine depuis le départ. Et pour donner encore plus de vie à ce cadre, Emmanuel accorde une belle place à l’art, au spectacle vivant et à la culture au sens large dans le décor de ses histoires avec des noms ayant réellement existé, référencés par l’auteur avec des notes en bas de pages pour les curieux comme moi. J’ai trouvé cela à la fois très immersif et envoûtant. J’ai vraiment eu le sentiment de plonger moi aussi dans le tourbillon artistique, politique et sociétal de cette époque.
Comme le dit le résumé, l’auteur entreprend vraiment de revisiter cette époque si riche du tournant de l’Entre Deux Guerre, époque où les tensions montent, notamment en Russie, patrie de Nikolaï et en Allemagne, son éternelle rivale. C’est une riche toile de fond sur laquelle vont venir se planter les différentes histoires imaginées par l’auteur autour de Célestopol et son Duc. Celles-ci sont parfois très différentes les unes et des autres. Certaines ont laissé leur trace sur moi, comme Memento Mori, avec sa famille à la dérive portée par le regard de ces jeunes enfants, ou encore La Malédiction du Pharaon, qui est une magistrale uchronie sur un Howard Carter allant sur la Lune, sans parler du petit chef d’oeuvre qu’est La fille de l’hiver, qui a également inspiré l’illustrateur ici. D’autres, en revanche, n’ont été qu’une toile de fond pour en arriver là, pour colorer ce monde, et je le regrette un peu, même si sur le moment, ce fut à chaque fois plaisant à lire car l’auteur est à l’aise dans tous les formats, j’ai l’impression.
Mon seul vrai manque dans cette histoire, c’est Célestopol. J’avoue que j’attendais que la ville prenne une place plus prépondérante dans les histoires, quelle prenne vie en fait ! Et j’ai eu l’impression qu’elle était juste là en toile de fond mais que plusieurs de ces histoires auraient pu pareil se passer sur Terre et cela m’a frustrée. J’avais trouvé la ville bien plus mise en avant, telle un personnage à part entière, dans le premier recueil et je pensais qu’il en serait de même ici. Or l’auteur a, un peu, pris le contre-pied en mettant l’humain (au sens large) au centre de son histoire avec ses questions de morale, d’éthique et de société. Ce n’était pas ce que j’attendais mais ce n’était pas déplaisant du tout, loin de là.
Deuxième recueil d’histoires dans l’univers de Célestopol, cette lecture me confirme combien j’aime les univers steampunk mais aussi les récits courts, parfois brillants comme La fille de l’hiver, La Malédiction du Pharaon ou Memonto Mori où en 20, 30, 60 pages l’auteur est capable de complètement nous retourner la tête et le coeur. Avec ces histoires à la fois humaines et philosophiques, Emmanuel nous interroge à nouveau sur notre relation à l’autre, à notre histoire, à nos désirs pour le futur, et c’est passionnant. J’ai adoré repartir sur les traces de Nikolaï et sa Célestopol, et je ne serais pas contre un autre voyage si l’auteur veut bien mettre un peu plus en scène sa ville pour combler mes frustrations >< En attendant, il excelle en uchronie humaine et robotique.
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