Nourri de dizaines d’entretiens et de l’étude minutieuse d’un gigantesque corpus, une thèse de littérature qui nous plonge dans une passion partagée du texte et du monde, à travers les dix premières années d’aventure d’un collectif ayant su largement réinventer les normes du passé. Un ouvrage qui va bien au-delà de son objet apparent, pour notre plus grande joie de lecteurs.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/04/28/note-de-lecture-inculte-collectif-litteraire-jean-marc-baud/
Publié en juin 2023 aux Presses du Septentrion (dont on avait récemment chroniqué sur ce blog l’excellent « Antoine Volodine, l’affolement des langues » de Dominique Soulès), « Inculte – Collectif littéraire » émane de la thèse de doctorat en littérature soutenue par Jean-Marc Baud en 2020 sous l’intitulé « Esthétiques et posture du collectif Inculte (2004-2015) : faire groupe après le siècle des avant-gardes ».
Avant même d’entrer dans ses détails, ce travail se révèle d’emblée précieux sous deux aspects évidents pour les lectrices et les lecteurs de ce blog (ou pour celles et ceux qui fréquentent notre librairie Charybde) : par la place qu’y tient la notion même d’écriture collective, sous toutes ses formes (et l’on sait à quel point les Wu Ming nous intéressent, dès avant toute tentative de conceptualisation théorique de leur part, de même que les parcours dans et autour de la ville de Yirminadingrad conduits par Léo Henry, Jacques Mucchielli et leurs ami(e)s, ou encore, plus récemment, le Bombyx Mori Collectif, avec sa mythique origine angevine par la grâce de Boby Lapointe et de la fatigue d’un chroniqueur), et, naturellement, par son objet privilégié, le collectif Inculte, cher à nos cœurs de lectrice et de lecteur – comme en témoigne la blog-bibliographie relativement abondante qui figure à la fin de ce billet.
Jean-Marc Baud prend le parti, lumineux à la lecture, d’inscrire le collectif Inculte dans la tradition mouvante des groupes littéraires de toute nature, tout en soulignant dans son introduction générale la caractère paradoxal de son apparition puis de son développement à un moment supposé (et hautement publicisé dans les médias faisant autorité) de mort des avant-gardes esthétiques et culturelles (quoi que l’on désigne exactement par ce terme), mais plus encore de disparition du sens collectif dans la production esthétique. En posant ce contexte – que l’on retrouve sous d’autres formes dans le précieux « Brouhaha – Les mondes du contemporain » (2016) de Lionel Ruffel -, il n’omet pas de rappeler les tentatives de renouveau collectif qui ont existé dans les années 1990, mais rappelle leur caractère éphémère, à la différence d’Inculte, qui s’est montré, dans les vicissitudes comme dans les coups du sort, dans les succès comme face aux forces centrifuges, hautement évolutif et adaptable – avant justement que l’auteur-investigateur ne se penche en détail sur les modalités de cette construction résiliente d’un nouveau genre.
Se concentrant, pour des raisons méthodologiques parfaitement expliquées, sur la période 2004-2015, Jean-Marc Baud étudie les trajectoires individuelles comme la trajectoire collective, de l’émergence à la reconnaissance, d’abord au plan éditorial, avant de se pencher sur ce que peut bien signifier « faire groupe » au XXIe siècle, entre hantises de l’avant-garde et camaraderies contemporaines. Il s’essaie ensuite avec brio à une tentative de caractérisation d’une littérature « inculte », traquant les pratiques, les écritures et les imaginaires de la communauté – pour finir, en beauté, sur la notion même d’engagement, dans toute sa richesse et ses ambiguïtés. À l’issue de ces presque 300 pages, on se dit que l’on vient de lire un ouvrage qui a su aller aussi loin qu’il est possible, pour nous aider à saisir, à travers un si spécial collectif d’individus, ce que peut faire la littérature contemporaine face au monde, et on souscrit alors totalement aussi à ce qu’exprime notamment la lumineuse postface de Mathieu Larnaudie.
Et nous nous permettrons chez Charybde, après avoir reçu en presque 40 occasions depuis 2011 divers membres du collectif Inculte, seul(e)s ou à plusieurs, pour des soirées littéraires toujours passionnantes, d’être également fortement touchés par cet ouvrage.
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