Il n’était pas beau, il avait un nez un peu trop long, il perdait déjà ses cheveux à quarante ans, mais il était instruit et surtout prospère. De quoi assurer à une famille entière une vie meilleure. Surtout avec la crise économique qui semblait encore faire rage dans le monde. C’est du moins ce que disaient les journaux à ceux qui savaient lire. Les chômeurs émaciés attendaient en ligne devant les soupes populaires, les banquiers à chemise blanche sautaient des immeubles à New York et la misère bien noire s’abattait partout.
Elle arrivait essoufflée pour se jeter dans les bras de son amant et connaître des troubles charnels dont elle ignorait l’existence peu de temps auparavant. Elle avait toujours cru que cette passion dévorante était l’invention de romanciers en mal de sensations fortes. Elle savait maintenant que cette exaltation existait et elle en profitait pleinement.
Lydia venait d’avoir seize ans. Quelques garçons des villages voisins commençaient à la regarder avec plus d’attention. Elle les voyait se tordre le cou à la messe du dimanche ou carrément la dévisager sur le parvis. Elle n’était pas la seule à être l’objet de ces regards insistants. Les filles à marier profitaient des beaux jours d’été pour montrer leurs meilleurs atours, relevant les manches de leur blouse, le bas de leur jupe, montrant leur chair bien pâle tout en cachant leur visage sous un grand chapeau de paille.
...les politiciens ont pas l’habitude de respecter leur parole. Quand ils vont manquer de soldats, ils vont prendre tout le monde. Ça va être vous autres, les femmes, qui allez bûcher avec les vieux et les garçons. Une chance que notre Henri est trop petit. La guerre s’éternisera pas jusqu’à ce qu’y soit en âge de porter l’uniforme.
Elle avait déjà jeté tout ce qui pouvait ressembler à un faux ventre. Elle ne laissait aucune trace de ses grossesses. Elle regarda les vieux vêtements. Même eux devraient disparaître, elle ne les porterait jamais. Elle passa plus d’une heure à nettoyer sa garde-robe, jetant une vieille tuque de laine qui avait appartenu à Grégoire, une robe de baptême qui avait servi à trois de ses enfants, une paire de bottines qu’elle avait portées quand elle était jeune mariée. Toutes ces choses qu’on range en pensant les réutiliser un jour et qu’on oublie au fond d’un placard.