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Critique de Woland


Queenpin
Traduction : Jean Esch

ISBN : 978-2253161509

"Adieu Gloria" où l'amère tragédie d'une double trahison, l'une esquissée et qui n'a pas le temps de s'achever, l'autre accomplie comme un acte de légitime défense - ou alors en représailles. Mais toutes deux préméditées, pourtant. Ah ! ce n'est pas simple du tout de démêler les sentiments qu'éprouvent l'une pour l'autre les deux héroïnes. Gloria, l'aînée, prend sous son aile une jeune fille en qui elle flaire un potentiel comparable au sien et cette jeune fille sera notre narratrice jusqu'à la fin. Un potentiel spécial, cela va de soi : celui d'une femme capable d'effectuer, sans faiblir, sans moufter, sans être tentée, des "tournées d'encaissement" pour la pègre américaine des années cinquante, entreprise comme chacun sait gérée à l'image d'un commerce pyramidal, avec des chefs qui ont eux-mêmes des supérieurs hiérarchiques, lesquels, à leur tour, etc, etc ...

Avec Megan Abbott, on le sait désormais, le roman noir n'est plus exclusivement une affaire d'hommes. Pour Gloria Denton, figure incontournable et respectée dans le milieu où, entre autres, elle encaisse paris truqués aussi bien chez les bookmakers que dans les casinos, la narratrice, une petite comptable sans nom mais ambitieuse en diable, qui se contente pour l'instant d'aider deux malfrats de bas étage à truquer leur petite comptabilité à quatre sous, est une sorte d'investissement. Elle va lui confier tout d'abord de toutes petites missions, la mettre à l'épreuve ... Mais avant cela, elle va lui apprendre à s'habiller, à marcher, et même à parler. Elle va faire de la petite un reflet presque parfait d'elle-même.

Enfin, tel est son rêve car il lui faudra bien, un jour - le plus tard possible, évidemment - transmettre le flambeau. La narratrice a bien conscience des projets de son Pygmalion féminin, tout comme elle n'ignore rien des avantages que cela lui rapportera. Mais elle est jeune, un peu trop et la voilà qui commet l'incroyable sottise de tomber raide amoureuse d'un bon-à-rien, d'un joueur invétéré, qui s'obstine à placer tout son argent (et aussi celui des autres) sur des chimères qui jamais ne gagnent. Vic Riordan, un physique de beau mâle irlandais, des tendances sadiques au lit et tout ce qu'il faut pour plaire à une femme comme notre narratrice, laquelle, malgré son assurance, a encore beaucoup à apprendre ...

Mais un jour, Riordan tire trop sur la corde et convainc notre petite pouliche trop sûre d'elle de parier avec l'argent de la pègre ... Alors, Gloria décide de régler le compte de celui qui a osé s'en prendre à "sa" pouliche - et la mettre en danger puisqu'il va bien falloir rattraper le coup sans qu'elle reçoive la "punition" qu'elle mérite.

Pouf ! Plus de Vic Riordan.

On ne peut pas dire que ce soit une grande perte . Mais pourquoi la narratrice découvre-t-elle, cachée dans la penderie de Gloria, la robe qu'elle portait ce soir-là, tachée du sang de Riordan non parce qu'elle avait participé à son assassinat mais au contraire parce qu'elle avait tenté d'arracher Denton à sa folie meurtrière qui la faisait frapper, frapper, et encore frapper ... ? Cette robe que Gloria lui avait promis justement de brûler dans l'incinérateur ? ...

Et de son côté, pourquoi la narratrice, alors qu'elle ne savait encore rien pour la robe, a-t-elle conservé le coupe-papier et le revolver qui ont servi au meurtre et dont Gloria lui avait ordonné de se débarrasser ? ...

C'est un duel de femmes, un duel de Mère à Fille, et un duel aussi - je le répète encore au risque de choquer mais lisez le livre et vous comprendrez ce que je veux dire - un duel d'amante et de maîtresse même si la relation des deux héroïnes reste platonique et si rien n'est dit, à peine suggéré. L'une cherche à dominer l'autre - et vice versa. C'est plus fort qu'elles : elles sont bien de la même espèce et cela ne peut se terminer que par un drame.

Les femmes ou les jeunes filles prises par Abbott pour héroïnes sont toutes des femmes fortes, des guerrières qui savent se battre et sont faites pour ça. Il arrive qu'elles le découvrent au cours du roman mais, parfois, elles le savent dès le début. le monde dans lequel elles évoluent, même s'il n'est pas toujours lié à la pègre, est une jungle et, si les hommes y pullulent, le lecteur (et plus encore la lectrice) est souvent amené à se demander si ces hommes ont autant d'importance qu'ils se l'imaginent. le "hard-boiled" au féminin, en somme mais avec autant de noirceur qu'au masculin, beaucoup plus de subtilité dans le message et infiniment plus de venin. Les hommes sont brutaux et sanguinaires, certains sont tordus, oui mais, comme ils ne sont pas conditionnés dès l'enfance à subir, il leur manque souvent ces réflexes glauques, ces raisonnements qui plongent incroyablement loin dans la psyché de l'autre et qui sont le lot, force ou faiblesse, des héroïnes vénéneuses - déjà femmes ou en devenir - de Megan Abbott.

Si vous aimez le roman noir et si vous êtes une femme, vous aimerez Megan Abbott. Si vous êtes un homme aussi, d'ailleurs, en principe ... Mais il n'est pas sûr que vous ne vous retrouviez pas plus troublé qu'à la lecture d'un Chandler, d'un Chase ou même d'un Ellroy. Ces auteurs-là ne vous font pas de cadeaux : Abbott, elle, vous en fait tout plein - tous plus empoisonnés les uns que les autres. ;o)
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