Citations sur Mauvaises herbes (120)
Je me dis qu’elle avait raison de s’intéresser autant aux mauvaises herbes qu’aux bonnes. J’espère qu’elle grandira comme poussent ces adventices. Ces hôtes de lieux incongrus, ces hôtes que personne n’a invités, que personne n’a voulus, qui dérangent mais s’en moquent bien et n’en finissent pas de pousser. Celles dont on arrache sans relâche les racines parce qu’elles ne conviennent pas, parce qu’elles ont poussé au mauvais endroit, au mauvais moment, mais qui prolifèrent ailleurs. Celles qui s’épanouissent sur des substrats improbables, qui s’acharnent à vivre dans les milieux les plus hostiles.
J’ai longuement réfléchi à la raison pour laquelle il y a tant de clochards dans un pays si riche. Je crois que, s’ils laissent les gens dans la rue, ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas les moyens de les aider, ni de les chasser. C’est pour les laisser là, à la vue de tous, comme un exemple, comme ce qu’il ne faut pas faire, comme un avertissement.
(page 112)
Un poème, c’est de l’émotion, un poème, c’est une sorte de cri, je crois. Mon poème, c’est un hurlement.
J’écris comme on se purge, j’écris comme je vais aux toilettes, tous les matins, je veux dire avec le même besoin, la même urgence, la même évidence.
Elle a passé sa vie à devoir renoncer à tout : ses jouets, sa maison, sa ville, ses amis, sa famille, son pays, sa langue. Moi. Je la fais renoncer à moi depuis si longtemps. Partir est le meilleur moyen pour ne plus rien avoir à perdre.
(page 129)
J’avais travaillé ma mémoire au corps pour parvenir tous les jours à tout oublier. L’habitude m’avait aidé à anesthésier toutes les images de la démence et de la déchéance. L’habitude et le quotidien m’avaient aidé à ne plus y prêter attention. Parce qu’on s’habitue à tout. Je m’étais habitué à ce paysage. Onze ans après la guerre civile. Onze ans, c’est long. On s’adapte. La rétine et le cerveau classent les images dans la case de ce qui est connu. Et ce qui est connu devient banal.
(page 81)
Quand on arrive devant l’immeuble, la première pensée qui me vient alors à l’esprit, comme à chaque fois : y a-t-il du courant ou pas ? S’il y a encore une coupure d’électricité, il faudra monter à pied. Ils coupent le courant de plus en plus souvent, au moins la moitié du temps, et très peu d’immeubles ont un générateur assez puissant pour faire fonctionner les ascenseurs.
(page 35)
À chaque fois que mon chagrin essaye de faire monter les larmes jusqu’à mes yeux, je les fais redescendre avec une bouchée de nourriture. J’avale et je fais redescendre la boule dans ma gorge jusqu’au plus profond de mon ventre.
Je ne sais pas quoi faire, moi, pour alléger le poids qu’elle porte sur ses petites épaules. Je ne sais ni quoi faire, ni quoi dire. Je ne suis pas très doué pour parler, encore moins rassurer. La seule chose que je sais, c’est faire semblant que tout va bien et sortir deux ou trois blagues. Je ne sers à rien, moi, dès qu’il s’agit de parler vraiment.
(page 31)
Les filles qui pleurent le plus sont celles qui sont le mieux coiffées, elles n’ont jamais de petits frisottis sur le devant. La plupart ont des cheveux lisses et bien coiffés, même en fin de journée.
(pages 14-15)