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EAN : 9782848054339
240 pages
Sabine Wespieser (06/01/2022)
3.93/5   83 notes
Résumé :
« Je marche sur un fil. Je suis le funambule sur le fil tendu au-dessus des abysses de la mémoire. Il ne faut pas que je tombe. Je suis sur le fil qui menace de rompre au moindre faux pas. »

Pendant des années, l’auteur de cet intense monologue est parvenu à tenir en laisse ses souvenirs. Tétanisé à l’idée d’affronter le monde extérieur, celui qui était devenu journaliste vit cloîtré dans son appartement, tout en parvenant à donner le change à sa réd... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
3,93

sur 83 notes
Après Mauvaises Herbes paru en 2020, récit croisé d'un père et de sa fille, premier roman de Dima Abdallah, Bleu nuit confirme le talent de cette auteure.
Dès les premières pages, le narrateur délivre les deux seules dates qu'il tolère, le 25 octobre 1961, jour de sa naissance, marquée après tout, noir sur blanc sur ses papiers d'identité et le 21 mars 2013, date à laquelle va débuter pour lui une nouvelle vie.
Cet homme, ancien journaliste, est parvenu pendant des années à tenir en laisse ses souvenirs, en vivant cloîtré dans son appartement, n'échangeant que quelques mots avec les coursiers qui le livrent à domicile. Impossible pour lui de sortir car dès qu'il ouvrait la porte de son immeuble, ses jambes le lâchaient et ce n'est qu'au prix d'efforts intenses qu'il parvenait à rentrer.
Un appel téléphonique fait basculer alors sa vie. Alma, la seule femme qu'il a aimée est décédée.
Ce 21 mars, lendemain de l'enterrement, enterrement auquel il s'était préparé à assister mais auquel il a été incapable de se rendre, vers 6h 30 du matin, il prend son sac à dos, y déverse ses médicaments, quelques livres, son pull le plus chaud, deux ou trois vêtements, son bonnet en laine, avant de refermer l'armoire, tente de convoquer le souvenir de l'odeur d'Alma en portant à son nez ses vêtements, mais subsiste seulement une odeur de poussière et de renfermé, claque la porte de l'entrée et dévale l'escalier. Il cherche la première bouche d'égout de la rue et y jette les clefs de l'appartement.
Il a l'impression de se réveiller d'un long sommeil. Son domicile est désormais la rue.
Il change d'emplacement chaque soir et au bout de quelques mois arrive à connaître chaque rue, chaque boulevard, chaque impasse dans un grand périmètre autour du Père-Lachaise, évitant seulement celle où il habitait. « Je veux que toute ma vie d'avant brûle doucement et tombe en ruines ».
Il se crée une nouvelle routine, le mardi, rue des Passants, le mercredi, rue des Amandiers, le jeudi, c'est le Père-Lachaise, sans toutefois n'y avoir jamais cherché la tombe d'Alma, et passe tous les vendredis rue du repos. Dans chacune de ces rues, chaque semaine, il a un échange fugace avec des jeunes filles ou des femmes, toujours les mêmes, chez qui il sait déceler la tristesse et la détresse. Si Emma lui ramène à l'esprit des images refoulées de vergers en fleurs, puis en septembre de pommes englouties avec Hana, Ella, quand à elle, lorsqu'elle lui tend un croissant, ce sont alors mille odeurs qui envahissent la rue des Amandiers, le quartier entier qui embaume d'un parfum de galettes à l'anis et la grâce des mains généreuses de la tante Zeina qui apparaissent…
Il sera cependant vite submergé par cette infinité d'images, « avec les souvenirs d'elle (Alma), tous les autres, morts et enterrés, ressuscitaient … Tout le satané bleu remontait en moi... »
Bientôt, les fantômes qu'il avait essayé de fuir en venant s'installer de l'autre côté de la Méditerranée, ni les rituels, ni la drogue ni l'alcool ne pourront les contenir. Il va alors consacrer ses nuits tourmentées au récit de ce cauchemar éveillé dans lequel il se débat depuis tout jeune.
Au travers de ce fabuleux monologue, Dima Abdallah dresse le portrait bouleversant d'un homme en proie à ses fantômes, qui essaie de forcer sa mémoire à se vider de ses souvenirs, mais l'oubli est tellement difficile. À chaque instant, le noir côtoie la lumière.
Cette errance dans Paris est racontée de façon absolument poétique et nous fait rencontrer ces laissés-pour-compte que souvent, nous ne savons plus voir.
Une profonde humanité se dégage de ce récit raconté par un homme qui souffre, mais surtout, parvient à ressentir au plus juste la détresse de ses semblables.
J'ai aimé cette remontée des souvenirs, notamment au travers des odeurs, des sensations, si délicatement et poétiquement transmises, que ce soit le feuilletage du croissant, le parfum des galettes à l'anis, la grâce des mains généreuses de sa tante ou encore le parfum de Layla, « ce savant mélange de crème hydratante, d'iode et de jasmin » qui le ramène à sa mère. Ces réminiscences dégagent beauté et sensualité.
Il faudra cependant attendre les derniers chapitres pour comprendre totalement le passé de cet homme et je dois dire que pour moi, cette attente s'est révélée un peu longue.
Bleu nuit est un roman poignant, sensible, rude, sur l'oubli, la rue, un roman sombre, très sombre et pourtant radieux, empreint de poésie.

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Sortir. Sortir de cet appartement où il s'est enfermé depuis plusieurs années dans une routine mortifère. Faire fi de tout ce passé si lourd à porter. Et jeter la clé dans une bouche d'égout…
C'est ainsi qu'il se retrouve à la rue, libéré de ses tics et de ses tocs et prêt à adopter le rythme d'une ville qu'il regarde d'un oeil attentif.

La rue est un microcosme qui en dit long sur ceux qui l'arpentent , pour peu que l'on daigne leur jeter un regard. Ella, Emma, Carla, Martha, toutes ces figures « tout ce qui s'est interposé entre lui et la rue », des relations superficielles mais suffisantes pour comprendre les tourments de chacune.
Sans oublier Minuit, ce chien avec qui il a noué une relation de protection mutuelle.

Cette précarité volontaire l'a certes pour un temps sauvé de la folie, mais n'en reste pas moins une errance parfois lourde à assurer, sans compter les dangers que la consommation inéluctable de produits illicites l'expose à des agressions.

Par la voix du narrateur , Dima Abdallah nous propose une série de portraits de gens ordinaires, avec leurs failles plus ou moins tues, tandis que les souvenirs affluent pour nous révéler le chemin semé d'obstacles qui l'a conduit là où il est arrivé.

Roman profondément humain, révélant une empathie immense pour les anonymes ordinaires, et porté par une très belle écriture, simple et convaincante. On apprécie aussi les en-tête de chapitres, références littéraires qui donnent le ton à chaque nouvelle étape du parcours.

240 pages Sabine Wespieser, 6 janvier 2022

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Une lecture dont on ne sort pas indemne. Bleu nuit est la couleur du ciel et de la mer du Liban, ce Liban qui hante le narrateur, celui de son enfance,  de sa mère,  de la guerre. le lecteur le comprend à la toute fin du livre et peut rassembler, un à un les fragments épars dans les differents chapitres pour prendre la mesure de toute sa vie de souffrance.
Le monologue de celui qui se dit un "homme foutu" nous le montre d'abord enfermé dans son appartement  parisien puis vivant à la rue, dans un périmètre autour du cimetière du Père Lachaise.
Mais ces quelques lignes  ne rendent pas compte de l'originalité de ce deuxième  roman de Dima Abdallah, de la  sensibilité de son écriture, de l'humanité des personnages qu'elle nous permet de rencontrer, des moments tout simples de bonheur d'une vie qu'elle nous fait vivre. Ce roman est aussi celui des rues de Paris aux noms évocateurs (rue du Repos, rue des Partants, rue du Retrait, etc) qui résonnent de manière particulière dans la vie du narrateur, celui des odeurs et des couleurs qui le et nous submergent,  des citations d'auteurs (Aragon, Céline, Gary, Duras, etc.) avec lesquels il dialogue.
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Si le point de départ peut choquer – vivre au grand-air par choix –, les pages qui suivent effacent bientôt toute réticence du lecteur. Il plonge alors dans l'esprit du narrateur, dans son mal-être et sa mémoire verrouillée qui laisse passer des éclats d'une douceur passée, éclats qui brûlent autant que des bris de verre quand le héros les effleure d'un souvenir, menaçant son fragile équilibre. La poésie de Dima Abdallah est intacte, son amour pour sa terre natale toujours aussi vif et poignant (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2022/01/14/bleu-nuit-dima-abdallah/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Merveilleux livre, très original, que celui de cette romancière qui a quitté le Liban en guerre à 12 ans, et qui choisit un narrateur masculin bien étrange. Phobique de la rue («plusieurs années sans avoir mis les pieds dehors», p. 14), il se fait livrer à domicile, ne va pas à l'enterrement d'Alma, la femme qu'il aime et qui – pensait-t-il, allait le sauver (p. 189). «Elle a tenu dix ans à mes côtés. Dix ! Elle a été héroïque» (p.191). On n'en saura pas plus. Il ne répond plus au téléphone, et finit par quitter son appartement et par jeter ses clés dans un égout, hantant désormais les rues de Paris comme SDF: rue du repos, rue du retrait, et même rue de l'avenir, une impasse qui ne mène nulle part. Phobique, il se dit aussi hypochondriaque, psychopathe (p. 191) et obsessionnel compulsif («J'accomplissais toutes sortes de rituels pour contrer l'angoisse. Je faisais cinq fois le tour de l'appartement en récitant mes incantations, je vérifiais des dizaines de fois que les bouches d'arrivée de gaz étaient bien fermées, je me lavais les maisons trois fois de suite»... p. 12; «formules magiques pour m'endormir», p. 16). Anorexique aussi, il pèse ses aliments au gramme près, successivement sur trois balances (p. 193). Il dort dans les parcs, cite Proust et ses madeleines, Baudelaire, Sartre, Aragon et d'autres. Il suit des inconnues dans la rue sans jamais leur parler. Tous les mardis à la même heure, il va à la rue des Partants et rencontre Emma qui lui offre un croissant. le mercredi, c'est le jour d'Ella. Les jeudis, il passe la journée au cimetière du Père Lachaise où il rencontre un chien qu'il appelle Minuit et qui ne quitte pas la tombe d'un enfant. Peu à peu, une amitié tendre se noue avec l'animal qui ira se blottir la nuit contre le corps du narrateur, dans un parc, avant de retourner à la tombe le matin. Ce sera le seul lien affectif du narrateur, admirablement décrit. Les nuits seront désormais pour le chien. le vendredi, c'est le jour de Martha qui lui offre invariablement un paquet des mêmes biscuits périmés, de son supermarché. Puis vient le jour d'Aimée qui dort sur une bouche d'aération du métro, et dont la carcasse puante s'étale sur le trottoir. le samedi soir, c'est le jour du bain de foule («je m'impose ce rituel pour ne pas perdre l'habitude des rues bondées er des décibels...». Ce jour-là, c'est Carla qui lui donne ce qu'il y a de «plus facile à manger pour un mec qui vit dehors» et qui, pour elle-même, transporte des bacs de bière en titubant. Les lundis, c'est Leila qui doit avoir à son actif plusieurs dizaines d'hivers dehors. Les jours se suivent mais aussi les saisons. le narrateur ne parle à aucune de ces femmes, mais chacune est une rencontre de loin qu'il évoque avec tact, finesse et poésie. Comme pour la femme aimée, tous les prénoms finissent par la lettre A. Il écrit «je regrette Minuit, Leyla et les autres. Je regrette le croissant d'Ella, le manteau d'Emma, les invendus de Carla et les sablés bretons de Martha... Je revois les cicatrices d'Ella, les jambes squelettiques d'Emma, les mains qui tremblent de Carla et le dos voûté de Martha. Je plonge dans les yeux tendres de Minuit». Peu avant la fin du livre, revient un souvenir douloureux et personnel du Liban, un épisode tragique qui l'a marqué quand, gosse, il a été entrainé dans la guerre et dans une violence qu'il dénonce avec pudeur. C'est avec la même pudeur qu'il évoque sa mère disparue. le dénouement, qu'il partage avec le chien, est une surprise pour le lecteur, bien que dans l'esprit de ce qui précède. le livre a une forme particulière de sensualité, parlant beaucoup des odeurs et des couleurs. le gris alterne avec le bleu nuit, couleur d'une robe de la femme qu'il a aimée, et couleur qui revient notamment comme couleur du ciel («Toutes les déclinaisons de gris de février triompheront pour toujours du bleu nuit» (p. 179). le mot «corps» revient sans cesse, jusqu'à 5 fois par page (p. 92). Beaucoup de choses s'expliquent dans une paraphrase de Marguerite Duras (L'Amant): «J'avais seize ans et il était déjà trop tard» (p. 156) ou dans une citation de Camus, «Même dans la destruction, il y a un ordre, il y a des limites».
Autres citations : «J'ai décidé que lire seul, à voix haute, était moins pathétique que de parler à mon steak pendant qu'il cuisait» (p. 17). «Ma sève ne montera plus jamais au printemps et n'ordonnera plus à mes branches de faire naitre de nouveaux bourgeons. Je ne connaitrai plus d'autre saison, ce sera un éternel automne désormais. Ce sera l'ultime et la plus grande tempête de ma vie et je l'attends ici, debout, les branches levées au ciel... Autrefois vivait en moi une hirondelle. Une hirondelle qui avait renoncé à son printemps» (pp. 168-169). «Elle a dû reconstruire tant de fois tant de nids. Il y a si longtemps que mon hirondelle est partie» (p. 170). «Des habitants du quartier, il ne reste que le tintement des pièces qui tombent dans le gobelet. Quand j'ai assez pour la bouteille, j'enlève le gobelet pour ne plus rien entendre d'eux. Pour ne plus rien savoir des corps qui passent» (p. 178).
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critiques presse (2)
LaPresse
26 avril 2022
C’est ainsi qu’une histoire insoupçonnée, à la fois cruelle et déchirante, se dévoile de manière singulière, d’une métaphore à l’autre, et révèle une écriture d’une grande beauté qui redonne vie à tous ces oubliés traînant leurs blessures dans l’anonymat des grandes villes.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LaCroix
17 janvier 2022
Étouffé par ses fantômes, un homme erre dans Paris. Sous la plume de Dima Abdallah, un roman sensible sur le droit à l’oubli.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
Avec les mots on ne se méfie jamais suffisamment, ils ont l’air de rien les mots, pas l’air de dangers bien sûr, plutôt de petits vents, de petits sons de bouche, ni chauds, ni froids, et facilement repris dès qu’ils arrivent par l’oreille par l’énorme ennui gris mou du cerveau. On ne se méfie pas d’eux des mots et le malheur arrive.
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Les mois passaient et je rentrais de moins en moins souvent à la maison. Plus je devenais un homme, plus les corps tombaient sous mes balles et moins j’avais envie d’aller la voir. Plus les corps tombaient, plus la sensation de toute puissance devenait encore plus jouissive que la came qu’ils nous donnaient, et moins je pensais à elle.
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Une sorte de colère que je n’avais jamais connue montait doucement en moi. C’est tellement bon, la colère, c’est le sentiment qui prend le dessus sur tous les autres, ça tue instantanément toutes les autres émotions. Ça prend toute la place dans la tête et le corps.
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On ne parle pas de la même façon dans un appartement que sur un boulevard. Sur un boulevard, en plein après-midi, on force sur la voix pour se faire entendre.
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Je n'avais aucun plan en tête. Je n'avais qu'une certitude et c'était que je ne remettrais plus jamais les pieds dans l'appartement, plutôt crever. Je me rapprochais du quartier et je réalisais que j'étais désormais à la rue. J'aurais dû paniquer, regretter d'avoir jeté les clefs dans un geste précipité, avoir peur, me demander ce que j'allais devenir, penser à appeler un serrurier, réserver un hôtel pour la nuit. Je n'ai rien pensé de tout ça, je n'ai rien pensé, aucune angoisse ne voulait bien monter en moi. Je n'avais jamais eu la tête aussi libérée de toute forme de panique. Les pensées noires qui siégeaient dans mon cerveau depuis des décennies avaient cédé la place à une douce torpeur.
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Vidéo de Dima Abdallah
Lire Magazine Littéraire s'est entretenu avec Dima Abdallah à propos de son roman "Bleu nuit", Prix Frontières - Léonara Miano 2023.
Le Prix littéraire Frontières - Léonora Miano est organisé par l'Université de Lorraine et l'Université de la Grande Région - UniGR, aux côtés de deux laboratoires de recherche en littérature et en géographie (le CREM et le LOTERR), et en association avec le Festival du Livre à Metz – Littérature et Journalisme.
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