Il y a des vies qu'il faut savoir finir. Ce jeu minable d'être quelqu'un. Alors on se lève un matin. Et, avec un peu de volonté, on dit que ce sera le dernier.
[incipit]
A quatre-vingt-dix ans, chaque mot chez Albert est devenu une barrière à franchir. Mais sa présence seule suffit, qui répand la paix sans le savoir. La générosité de certains hommes dépasse leur propre volonté. Elle donne une idée du bonheur.
On est de la montagne comme on est de la mer : l'élément vous a choisi.
Pierre me parle un peu du sanctuaire. D'une voix lente appuyée et forteLa légende du taureau agenouillée auprès du gave devant une statue de la vierge, bousculée par le tumulte de l'eau. Alors les hommes ont bati. Et l'histoire est gravée autour d'une chapelle latérale de l'église autour de la Vierge.
Tous les gestes de Pierre sont lents. Une délicatesse sans calcul. Ce ne sont pas les premiers ralentissements d'un homme de soixante-quinze ans. Seulement cette grâce su on retrouve aussi chez quelques longues femmes élégantes et parmi les danseurs. Où le mouvement est l'expression d'une paix intérieure et d'un coeur au repos.
Dans le monde du soi, pourquoi se met-on, justement, à vivre pour autre chose que pour soi? Pour un Autre qu'on ne voit pas? Je veux comprendre, car, moi aussi, j'ai cherché. Si Dieu existe, pourquoi ne se révèle-t-Il pas aussi à ceux qui le guettent? Quelle iniquité...
J'ai cherché, mais je ne L'ai pas trouvé. Alors ils doivent dire, ceux qui savent, et devinent cette présence à leurs côtés. Où L'ont ils rencontré? Ils ne connaissent pas leur chance.
Je verse dans la seule confidence qui vaille, celle d'un inconnu pour un autre. Car on ne devrait dire de soi qu'à ceux qu'on ne connait pas. Alors rien n'est faussé, les intérêts ne sont pas en jeu. D'une certaine manière, se confier à un étranger, c'est ne rien dire à personne. Une complainte de rue aussitôt balayée. Oui, c'est sûr maintenant. On ne devrait vivre hors de soi qu'avec les inconnus. Et puis garder le reste. Accepter de se taire avec ceux qu'on aime.
Et moi je devine peu à peu, en partageant ce bout d'existence, que le jeu des contradictions entre ville et campagne a ses limites. Si elles ont bien un point commun, c'est leur extrême violence. Loin des villes, c'est la solitude et le silence qui exacerbent cette violence. Les rixes sont intestines, interminables.
On reproche aux grandes villes leur anonymat. On félicite la vie de quartier, la proximité. C'est pourtant ce qui me plaît dans l'agitation des boulevards, dans la foule des transports : avancer entouré d'inconnus. Dans la vallée, les rumeurs courent trop vite. Le bruit précède l'image.
La nationale ne désemplira pas. À Sarrance, il n'y aura plus de dimanche sans camion. Le rêve des salles de marché et des financiers camés. Ça viendra. De jour comme de nuit, la même foule. Il faudra des casques audio pour écouter le silence. Alors oui, à quelques campagnes sera épargnée cette vie sans limites. Mais au rythme où on les quitte, elles seront bientôt des no man's land. La nature aura repris tous ses droits. Celui d'étouffer les granges, de faire éclater la pierre et de chasser les ruines. Le silence déjà fait peur. Celui-là sera terrifiant.
Ces mots en commun que nous prononçons autrement. On pourra parler de saccage quand la génération Hanouna aura détruit la langue, cariée par le langage télévisé et ses slogans.