Maintenant, il est temps de quitter le centre de Rome. De faire comme Pasolini, aller chercher la vie plus loin. Regarder et vivre la nouvelle existence des faubourgs de Rome. Pasolini a trouvé refuge dans les banlieues parce que la bourgeoisie l'avait rejeté pour son homosexualité. Pas comme les autres, une tare.
Ostie aujourd'hui, c'est Rome qui vient cracher dans la mer.
« Vissare me² », c'est ainsi qu'on appelle ici son enfant. Je trouve cette expression d'une beauté cinglante.
2. « Mon coeur », littéralement « mes entrailles »
Ce n'est pas seulement par goût du style que j'ai aimé Pasolini. Je n'ai pas la maîtrise pleine de sa langue. J'ai même été bien crédule à penser que tout pouvait me plaire dans ses livres. J'ai connu des lectures ennuyeuses, trop éloignées. Mais en une phrase, dans Pétrole ou Théorème, je suis resté extatique. Retourné.
C'est l'homme des paradoxes, l'ébranleur d'idées, le saint sans calendrier qui m'a parlé. Excessif ? bien sûr. A lire Pasolini, j'ai appris à croire aux excès.
J'ai appris de Pasolini par tout ce que j'ai lu de lui. Mais lire ne suffit pas. On s'essouffle à lire et apprendre de nos ancêtres. Pour mieux me confondre avec un écrivain, je dois verifier, toucher ces lieux que ses mots ont frôlé. J'ai mis de côté l'émotion de mes lectures. Elle est restée cloîtrée en France. Comment vivre auprès de cet homme absent ? Insatisfait, je suis alors parti sur les routes de Pasolini, à la recherche de ce meneur d'âmes. Meneur de nos petites âmes paumées du nouveau siècle.
Il m'inspire autant parce que j'ai retrouvé chez lui cet appétit d'essentiel, l'humilité et la générosité du chrétien de chapelle. Et la répugnance pour le dogmatisme, la règle moralisante.
Pasolini, de l’enfance à la mort est resté fasciné par la représentation, qu’il s’agisse de peinture, théâtre ou cinéma.
La mort de Pasolini est une pierre de plus à l'édifice de "l'immense cathédrale des mystères irrésolus" de l’Italie des années 70, comme l'écrit le journaliste Paolo Graldi dans le Messaggero.
J’ai trouvé chez cet homme tué il y a quarante ans beaucoup de règles de vie que j’attendais d’un intellectuel d’aujourd’hui.
Alberto Moravia y prononce une oraison funèbre passionnée, au cours de laquelle il honore surtout l’écrivain, le poète Pasolini. "Une société qui assassine ses poètes est une société malade ! " s’exclame-t-il, entre autres.