Quand je dis Moshe, je ne parle que de mémoire. Parler, écrire, c'est faire appel cru, violent à la mémoire.
Ecrire. Parce que le récit nous oblige. C'est notre ligne de conduite, notre faiblesse, notre hardiesse, notre possibilité –illusoire mais capitale – d'habiter un monde, c'est notre façon.
Et le mal dans cette affaire? Banal comme l'est tout mal. Au risque de choquer, je crois, je sais, j'affirme que le le fond, nous nous accommodons de lui. C'est ainsi.
Je relis ces mots de Robert Musil, où il est question de "la nature ambigüe de la vie qui alourdit toute grande aspiration plus vulgaire". Musil écrit encore, et cela ne doit pas nous rassurer : "A tout progrès, elle lie une régression et à toute force une faiblesse ; elle ne donne à personne un droit qu'elle n'ait enlevé à un autre, elle n'ordonne aucun chaos sans créer de nouveaux désordres, et elle semble ne provoquer le sublime que pour décorer la platitude".
Je souffre de lire ces mots et, hélas, tout autour de mi, je ne leur trouve que de cruelles confirmations.
« L'ailleurs est un miroir en négatif. » [...] «Le voyageur y reconnaît le peu qui lui appartient, et découvre tout ce qu'il n'a pas eu, et n'aura pas. »
De Moshé à Mike, s'installe comme une perte. Un assèchement. Une décomposition coupable. L'amenuisement d'une masse volumique.
Ils voulaient partir, quitter cette première terre de maudissement, reconstruire ailleurs. Que reconstruit-on qui a été détruit à ce point? Laminé? Désintégré?
Voilà pourquoi nous ne dormirons jamais. Parce que le pire a eu lieu. Parce que le pire aura lieu à nouveau. Très vite. La semaine prochaine. Parce que le mensonge tue, et l'omission et le silence et le trop-plein de mots et tout le reste. Tout est prêt, oui. Et les pires conditions matérielles.