Citations sur La Supplication : Tchernobyl, chroniques du monde apr.. (327)
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- Grand-mère, tu ne peux pas emmener ton chat. C’est interdit. Ses poils sont radioactifs.
- Non, les enfants, je ne partirai pas sans lui. Je ne peux pas l’abandonner. C’est ma seule famille.
C’est avec cette grand-mère que cela a commencé… Avec ce pommier en fleurs.. Maintenant je ne filme que des animaux. Je vous l’ai dit : j’ai découvert le sens de ma vie…
Une fois j’ai montré à des enfants mes sujets sur Tchernobyl. (…) On m’a posé toutes sortes de questions, mais l’une d’entre elles est restée gravée dans ma mémoire :: un garçon qui rougissait et balbutiait a pris la parole. Apparemment, il était timide et taciturne. Il m’a demandé : « Pourquoi ne pouvait-on pas sauver les animaux qui sont restés là-bas? » Je n’ai pas pu lui répondre. Nos livres, nos films parlent seulement de la pitié et de l’amour pour l’homme. Rien que pour l’homme! Pas pour tout ce qui est vivant. Pas pour les animaux ou les plantes … Cet autre monde … Mais avec Tchernobyl, l’homme a levé la main sur tout…
Je voudrais tourner un film … Les otages … Sur les animaux.
Sergueï Gourine, opérateur de cinéma
Notre porte...Notre talisman! Une relique de famille. Mon père a ete allongé sur cette porte. J'ignore l'usage ailleurs, mais ma mère disait qu'il fallait coucher les défunts sur la porte de la maison en attendant de les mettre en bière. J ai passé la nuit près de mon père allongé sur cette porte...La maison est restée ouverte. Toute la nuit
Et sur cette porte, il y a des marques de bas en haut: ma taille à différents moments de mon existence. De petites encoches accompagnées d une annotation : 1ere année d'école, seconde, septième, avant le service militaire...et à côté, la croissance de mon fils et celle de ma fille. Toute notre vie était inscrite sur la porte. Comment pourrais je la laisser ?
J ai demandé de l'aide à mon voisin qui avait une voiture. Il m'a fait signe que j étais timbré. Mais je l'ai récupéré quand même, la porte. Deux ans plus tard...de nuit...en moto...à travers la forêt...Notre appartement avait déjà été pillé. Nettoyé. Des miliciens me poursuivaient: " on va tirer! On va tirer" ils me prenaient pour un milliard. Voilà comment j'ai volé la porte de ma propre maison
Nous l’avons allongée sur la porte… Sur la porte qui avait supporté mon père, jadis. Elle est restée là jusqu’à l’arrivée du petit cercueil… Il était à peine plus grand que la boîte d’une poupée.
Je veux témoigner que ma fille est morte à cause de Tchernobyl. Et qu’on veut nous faire oublier cela.
Ils ont éparpillé notre chagrin à travers le monde. Seuls les morts reviennent ici. On n'autorise que le retour des morts. Les vivants, eux, se faufilent la nuit. Par la forêt...
Tchernobyl... C'est une guerre au-dessus des guerres. L'homme ne trouve son salut nulle part. Ni sur la terre, ni dans l'eau, ni dans le ciel.
"J'ai appris et senti à Tchernobyl quelque chose dont je n'ai pas envie de parler. Peut-être à cause de la relativité de nos représentations humanistes. Dans les situations extrêmes, l'homme n'est pas du tout comme on le décrit dans les livres. Cet homme-là, je ne l'ai pas trouvé dans la réalité. En fait, c'est le contraire. L'homme n'est pas un héros, nous sommes tous que des vendeurs d'apocalypse. Plus ou moins grands."
- Vous ne devez pas oublier que ce n'est plus votre mari, l'homme aimé qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination. Vous n'êtes pas suicidaire. Prenez-vous en main ! "
Un évènement raconté par une seule personne est son destin. Raconté par plusieurs, il devient l’Histoire. Voilà le plus difficile : concilier les deux vérités, la personnelle et la générale.
« Notre régiment fut réveillé par le signal d’alarme. On ne nous annonça notre destination qu’à la gare de Biélorussie, à Moscou. Un gars protesta – je crois qu’il venait de Leningrad. On le menaça de cour martiale. Le commandant lui dit, devant les compagnies rassemblées : « Tu iras en prison ou seras fusillé. » Mes sentiments étaient tout autres. À l’opposé. Je voulais faire quelque chose d’héroïque. Comme poussé par une sorte d’élan enfantin, la plupart des gars pensaient comme moi. Des Russes, des Ukrainiens, des Kazakhs, des Arméniens… Nous étions inquiets, bien sur, mais gais en même temps, allez savoir pourquoi !
Sur la porte il y avait un mot : « Cher homme, ne cherche pas des objets de valeur, nous n’en avions pas. Utilise ce dont tu as besoin, mais sans marauder. Nous reviendrons. »