Citations sur La Supplication : Tchernobyl, chroniques du monde apr.. (327)
J’ai vu un homme dont on enterrait la maison devant ses yeux… (Il s’arrête.) On enterrait des maisons, des puits, des arbres… On enterrait la terre… On la découpait, on en enroulait des couches… Je vous ai prévenue… Rien d’héroïque.
- On prétend que les animaux n’ont pas de conscience, qu’ils ne pensent pas. Mais ce n’est pas vrai. Un chevreuil blessé… Il a envie qu’on ait pitié de lui, mais tu l’achèves. À la dernière minute, il a un regard tout à fait conscient, presque humain. Il te hait. Ou il te supplie : Je veux vivre, moi aussi ! Vivre !
J’ai peur… J’ai peur d’aimer. J’ai un fiancé. Nous avons déjà déposé notre demande de mariage à la mairie. Avez-vous entendu parler des hibakushi de Hiroshima ? Les survivants de l’explosion… Ils ne peuvent se marier qu’entre eux. On n’en parle pas, chez nous. On n’écrit rien à ce sujet. Mais nous existons, nous autres, les Hibakushi de Tchernobyl.
Les journaux ont écrit que le vent, heureusement, soufflait dans l’autre sens. Pas sur la ville… Pas sur Kiev… Mais personne ne soupçonnait qu’il soufflait sur la Biélorussie. Sur mon petit Iouri, sur moi.
« Pourquoi ne pouvait-on pas sauver les animaux qui sont restés là-bas ? » Je n’ai pas pu lui répondre… Nos livres, nos films parlent seulement de la pitié et de l’amour pour l’homme ! Pas pour tout ce qui est vivant. Pas pour les animaux ou les plantes. Cet autre monde… Mais avec Tchernobyl, l’homme a levé la main sur tout…
Je crains la pluie… Voilà ce que c’est, Tchernobyl. Je crains la neige… Et la forêt. Ce n’est pas une abstraction, une déduction, mais un sentiment qui gît au plus profond de moi-même. Tchernobyl se trouve dans ma propre maison. Il est dans l’être le plus cher pour moi, dans mon fils qui est né au printemps 1987… Il est malade. Les animaux, même les cafards, savent à quel moment il convient d’enfanter. Les hommes ne le peuvent pas. Dieu ne leur a pas donné le sens du pressentiment.
De plus, nous avons été élevés dans un paganisme soviétique très particulier : l’homme était considéré comme le maître, la couronne de la création. Et il avait le droit de faire ce qu’il voulait de la planète. Comme dans la célèbre formule de Mitchourine : « Nous ne pouvons pas attendre que la nature nous accorde ses faveurs, notre tâche est de les lui arracher. » C’était une tentative d’inoculer au peuple des qualités qu’il n’avait pas. De lui donner la psychologie d’un violeur. Un défi à l’Histoire et à la nature.
Le Soviétique est incapable de penser exclusivement à lui-même, à sa propre vie, de vivre en vase clos. Nos hommes politiques sont incapables de penser à la valeur de la vie humaine, mais nous non plus. Vous comprenez ? Nous sommes organisés d’une manière particulière. Nous sommes d’une étoffe particulière.
Dans la nuit, il m'arrive de rester éveillée jusqu'à l'aube. Et de penser, de penser. Cette nuit aussi, je suis restée assise toute la nuit sur mon lit, courbée comme un crochet, et puis je suis sortie pour voir comment allait être le soleil.
Chez nous, la victoire n’est pas un événement, mais un processus. La vie est une lutte.