Citations sur La Supplication : Tchernobyl, chroniques du monde apr.. (327)
J'avais des chiffres, des cartes. Et eux ? Ils pouvaient m'interner en asile psychiatrique. En tout cas, ils m'ont menacé de le faire. Ils pouvaient organiser un accident de voiture. Ils m'ont prévenu de cela, aussi. Ils pouvaient également ouvrir une information judiciaire pour activités antisoviétiques. Ou pour escroquerie, par exemple, à cause d'une caisse de clous qui n'avait pas été enregistrée par l'économie de l'institut.
Une enquête a été ouverte... Et ils ont obtenu les résultat souhaités : j'ai été victime d'un infarctus... (Il* se tait)
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*L'ancien directeur de l'Institut de l'énergie nucléaire de l'Académie des sciences de Biélorussie.
"Je me demande pourquoi on écrit si peu sur Tchernobyl. Pourquoi nos écrivains continuent-ils à parler de la guerre, des camps et se taisent sur cela ? Est ce un hasard ? Je crois que, si nous avions vaincu Tchernobyl, il y aurait plus de textes. Ou si nous l'avions compris. Mais nous ne savons pas comment tirer le sens de cette horreur. Nous n'en sommes pas capables. Car il est impossible de l'appliquer à notre expérience humaine ou à notre temps humain...
Alors vaut-il mieux se souvenir ou oublier ?"
Evgueni Alexandrovitch Brovkine, enseignant à l'Université de Gomel.
Nous sommes retournés chez nous. J'ai enlevé tous les vêtements que je portais et les ai jetés dans le vide-ordures. Mais j'ai donné mon calot à mon fils. Il me l'a tellement demandé. Il le portait continuellement. Deux ans plus tard, on a établi qu'il souffrait d'une tumeur au cerveau... Vous pouvez deviner la suit vous-même. Je ne veux plus en parler.
Lorsque je suis rentré d'Afghanistan, je savais que j'allais vivre. Mais Tchernobyl, c'était le contraire : cela ne tuerait qu'après notre départ...
Je reste là au milieu d'eux tous. Je soupire. On peut parler avec les morts comme avec les vivants. Je ne vois pas de différence. Je les entends, les uns comme les autres. Lorsqu'on reste tout seul... Et lorsque la tristesse vous gagne... Une tristesse immense...
Il ne faut pas oublier dans quelle situation nous nous trouvions, il y a dix ans. Le K.G.B. fonctionnait, on brouillait les radios occidentales. Il y avait des milliers de tabous, de secrets militaires, de secrets du parti… De plus, nous avions été élevés dans l’idée que l’atome pacifique soviétique n’était pas plus dangereux que le charbon ou la tourbe.
Ma fille m'a dit récemment : "Maman, si j'accouche d'un bébé difforme, je l'aimerai quand même." Vous vous rendez compte ? Elle est en terminale et elle a déjà des idées pareilles. Ses copines aussi, elles pensent toutes à cela... Un garçon est né chez des amis à nous. Il était tellement attendu ! Vous pensez, le premier enfant d'un couple jeune et beau ! Mais le bébé a une énorme fente en guise de bouche et pas d'oreilles... Je ne vais plus chez eux. Je ne passe plus comme avant. Cela m'est impossible, mais ma fille y fait des sauts. Elle a envie de les voir. J'ai l'impression qu'elle veut se faire à l'idée...
« Bonnes gens, laissez-moi tranquille ! Nous autres, nous habitons ici. Vous, vous allez causer et repartir. Mais nous resterons !
Regardez ces cartes médicales. Je les prends. Je les compulse chaque jour !
Ania Boudaï, née en 1985 : 380 rems.
Vitia Grinkevitch, né en 1986 : 785 rems.
Nastia Chablovskaïa, née en 1986 : 570 rems.
Aliocha Plenine, né en 1985 : 570 rems.
Andreï Kotchenko, né en 1987 : 450 rems...
On prétend que ce n’est pas possible. Comment peuvent-ils vivre avec une thyroïde pareille ? Mais c’est la première fois qu’un tel événement se produit dans le monde. Je lis... Je vois... Jour après jour. Pouvez-vous être d’un quelconque secours ? Non ! Alors, à quoi bon venir ? Nous poser des questions ? Nous toucher ? Je ne veux pas faire commerce de leur malheur. Ou philosopher là-dessus. Bonnes gens, laissez-moi ! C’est à nous de rester vivre ici. »
Arkadi Pavlovitch Bogdankevitch, assistant médecin.
J'ai tellement travaillé toute la vie, j'ai eu tant de chagrins ! J'ai eu assez de tout et ne veux plus rien.
Ceux qui ont vécu des humiliations ou qui ont connu la vraie nature de l'homme se fuient inconsciemment les uns les autres. (p.119)