A̳u̳c̳u̳n̳e̳ ̳f̳e̳m̳m̳e̳ ̳n̳'̳e̳s̳t̳ ̳u̳n̳e̳ ̳î̳l̳e̳
La femme du titre de cette chronique est Rita Cairn, l'héroïne du roman de
Sandrine Alibaud, « Sylned: V1.0 Supernova ».
Héroïne ? Anti-héroïne ?
Parfois l'indétermination est la meilleure manière de définir quelqu'un.
Rita Cairn est une Mantarside.
Elle appartient à ce peuple alien qui vivait en paix et en communion avec la nature sur la planète Pegasis.
Ce peuple à l'étrange beauté, avec leur peau et leurs yeux aux nuances bleutées ou grisâtres selon leur environnement. Et leurs ailes. Leurs ailes. Que les humains leur ont arraché, enlevé, quand, passant de planète en planète, après avoir détruit la précédente, ils se sont installés sur Pegasis et ont soumis les Mantarsides à leur domination. Par la ruse. Par la force.
Année 2387. Rita Cairn vit dans la colonie Alpha-9. Mégalopole classique où les structures de béton alourdissent le ciel et sa vue. Où, dans ces hautes tours, se cachent et s'abritent les dirigeants. Les puissants. La Corporation. Et où, au bas, dans des ghettos défavorisés, vit une partie du peuple, humains relégués et Mantarsides dévoyés. Dévoyée comme Rita.
Dans ces ghettos, dans cet univers, deux « lois » se font face, s'affrontent. Celle de la Corporation et de ses soldats. Et celle des divers trafics, dirigés, contrôlés, par le puissant D'Jah Mett, à la personnalité étrange et énigmatique.
Rita Cairn travaille pour la Corporation. Ou pas vraiment. Électron libre. Rogue. Imprévisible. Dangereuse. Elle prend ses ordres de Nils, commandant dans l'armée de la Corporation qui est chargé de la sécurité des colonies. Nils, à la fois son chef, son protecteur, son confident, son ami. Plus ? Peut-être... Nils qui lui a sauvé la vie quand elle était enfant, quand ses parents adoptifs, des humains, ont été arrêtés par la Corporation pour avoir caché une Mantarside, pour être emmenés et livrés à leur triste sort.
Nils qui lui a tout appris. Mais Rita n'a retenu que ce qui l'intéressait. Car Rita n'a pas de principes. Et ne veut en respecter aucun. Ni de ligne de conduite. Sauf celle de son propre intérêt. Cet intérêt pour lequel elle n'hésite pas à faire exploser sa violence physique et ses pouvoirs de destruction quand elle le souhaite. Et dépasser, outrepasser les limites. de la morale. Toutes les limites. Quitte à tuer. À massacrer. Incontrôlable. Son principe est d'en n'avoir aucun.
De ce fait, elle ne travaille pas que pour la Corporation. Mais aussi contre elle. Pour elle-même. Et donc elle trafique et vole, de-ci, de-là. Avec ses complices habituels. Ses deux acolytes. Foxay, humain, hacker de génie. Et Lorg, mercenaire vénal, androïde à la force physique surhumaine. Acolytes mais pas amis. Que donc elle peut trahir. Et trahit. Car Rita n'aime pas les humains. Car elle n'aime pas les Mantarsides. Ni les androïdes. Elle déteste les humains car ils ont asservi son peuple. Et déteste les Mantarsides car ils se sont laissés asservir.
Elle n'aime personne. Pas même elle-même. Elle déteste tout le monde. Tout le monde ? Pas si simple...
Car Rita, dans cet univers désolé, pense être une île. Elle se voit comme une île. Elle est une île.
Mais le problème c'est qu'aucun homme n'est une île comme l'a si bien écrit
John Donne :
« Aucun homme n'est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent, une partie de l'ensemble » (« No man is an island entire of itself ; every man is a piece of the continent, a part of the main », « Devotions upon emergent occasions », Meditation XVII, 1624).
Et donc aucune femme n'est une île. Pas même Rita.
La seule île de Rita est son silence intérieur qu'elle cache à coups d'invectives, d'injures, par son langage vulgaire. Elle est ce silence. Comme nous tous. Comme l'a écrit
José Saramago :
« On dit que chaque personne est une île, ce n'est pas vrai, chaque personne est un silence, oui, chacune avec son silence, chacune avec le silence qu'elle est. » [«
La caverne » (« A caverna »), 2000].
Et dans cet univers perdu, où Rita ne peut pas être une île et où son seul refuge est son silence intérieur, peu importe qu'elle veuille suivre ou enfreindre les principes, les respecter ou les violer, elle ne pourra échapper à son destin. Et Rita ne va pas y échapper.
Il y dans le roman de
Sandrine Alibaud, une analogie qui ne pourra échapper au lecteur. Les Mantarsides, enfants et protecteurs de la Nature, y apparaissent comme une représentation métaphorique, une allégorie des peuples Indiens d'Amérique du Nord, dont les terres ancestrales ont été conquises par les colons blancs qui ont spolié les Indiens de leurs biens, Indiens qui ont fini parqués dans des réserves, à l'écart, loin d'un monde qui dans sa folle poursuite de « progrès », se détruit peu à peu.
Dans le roman, c'est aussi le cas des Mantarsides, qui vivent à l'écart comme dans ce village isolé dirigé par le chef Veln. Ces Mantarsides que
Sandrine Alibaud appelle Natifs. Comme les Indiens d'Amérique du Nord.
Et Rita se situe là. Est là. Entre les deux. Brinquebalée, écrasée entre les deux. Ne semblant appartenir à aucun de ces deux mondes. Ne semblant ne pas pouvoir appartenir à aucun de ces deux mondes. Perdue. Perdue entre les deux. Comme Pacer Burton, le « héros » de « Les rôdeurs de la plaine » (« Flaming star »,
Don Siegel, 1960), blanc par son père, Indien Kiowa par sa mère, perdu dans cette guerre entre Indiens et Visages Pâles.
Comme Rita elle-même est perdue. Dans cette guerre toujours existante entre humains et Mantarsides natifs. Et dans cette nouvelle guerre entre humains et Mantarsides non natifs, dirigés par l'intrigante Onyr. Cette nouvelle guerre qui a ébranlé et détruit une partie d'Alpha-9 et tué une grande partie de ses dirigeants, des dirigeants de la Corporation.
Une guerre dont Rita va, malgré elle, devoir chercher la résolution. Mais pas seule. Avec à ses côtés
Nils, incomparable protecteur, et Lorg, indéfectible compagnon. Et avec le soutien de Foxay qui, à distance, va s'infiltrer dans les réseaux informatiques.
Un chemin qui va conduire Rita vers son destin. Et à affronter des ennemis de plus en plus puissants. Dont l'un qu'elle n'aurait pas pu soupçonner. Elle-même. Et se confronter à une vérité sous la forme d'un double questionnement : le fatum échappe-t-il dans son exécution à tout principe ou bien peut-on lutter contre le fatum en lui opposant nos principes ?
Pour savoir comment Rita se comportera en ce moment de bascule, pour savoir si, comme John Anderton dans « Minority report » (
Steven Spielberg, 2002), elle pourra par sa volonté, par le respect de certains principes, infléchir son destin, il vous faudra lire le roman de
Sandrine Alibaud et le lire jusqu'au bout (je ne dévoilerai pas ici la pirouette scénaristique employée par l'autrice), pour savoir quelle sera la destinée de Rita (et de ses compagnons), pour connaître la place qu'elle occupera, devait occuper dans l'univers : Sylned.
Merci de m'avoir lu.