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Critique de 5Arabella


Le Purgatoire

Dante, sorti des ténèbres de l'Enfer arrive à l'aube du dimanche de Pâques au Purgatoire. Qui est une montagne qu'il s'agit de gravir pour arriver jusqu'au Paradis, c'est à dire jusqu'à Dieu. le Purgatoire ne figure pas dans la Bible, il apparaît progressivement dans la théologie chrétienne, s'installe vraiment au 12e/13e siècle, même s'il repose sur des pratiques plus anciennes. Il rentrera de manière tout à fait officielle dans la doctrine au concile de Trente (XVIe siècle). le Purgatoire est dans la Divine Comédie un espace de purification, aussi bien pour les âmes que pour Dante lui-même, l'ascension de la montagne du Purgatoire est une sorte de pénitence composée d'étapes, un sentiment l'allégement accompagne la montée, symbolisé par la disparition progressive des 7 P que l'ange a dessiné sur le front de Dante.

Le Purgatoire est composé de 9 parties : un anté-purgatoire, terrasse rocheuse ou demeurent les âmes négligentes, qui n'ont pas vraiment fait le mal, mais qui ont tardé à se repentir. Il y a toute une section réservée aux rois et princes coupables d'avoir négligé la mission politique qui leur a été confiée par la volonté divine. On le verra dans la suite, la dimension politique a une place importante au Purgatoire.
Il y a ensuite sept terrasses, qui correspondent aux sept péchés capitaux, en partant des plus graves jusqu'aux moins graves. Enfin au sommet de la montagne, se trouve le jardin d'Eden, le paradis terrestre.

Le Purgatoire est un lieu paradoxal, car ceux qui y sont consignés expient leurs pêchés, et parfois très durement, presque aussi durement que les damnés de l'Enfer. Mais il y résonne une grande joie, grâce à l'espoir d'arriver à la fin de la pénitence, franchir la porte du Paradis et pouvoir contempler Dieu. C'est donc un lieu entre souffrance et joie, cette dernière s'exprime en particulier dans les chants, les cantiques, dans lesquelles les pénitents célèbrent Dieu. Mais là aussi il y a une ambiguïté : il ne faudrait pas que la musique détourne du but essentiel, qui est de gravir, dans la douleur souvent, la montagne du Purgatoire jusqu'à son sommet. Ce n'est qu'au Paradis que la musique pourra prendre toute sa place, se déployer.

Sur l'anté-purgatoire règne Caton, qui bien que païen et suicidé, a gagné grâce à son amour de la liberté une place dans cet endroit intermédiaire. Il ne pourra jamais monter jusqu'au Paradis, il est à jamais assigné à cette place entre deux mondes.

Les rencontres que Dante fait au Purgatoire sont aussi nombreuses qu'en Enfer. J'ai envie de mentionner deux sortes d'entre elles. Les premières concernent les artistes, surtout les poètes. Dante rend hommage à ceux qu'il admire et se positionne au même niveau qu'eux, montrant à quel point il est conscient de la valeur de l'oeuvre qu'il est en train d'écrire. La première rencontre est celle d'un musicien, son ami Casella, qui a mis en musique l'un des poèmes de Dante, qu'il commence à chanter, avant que Caton ne lui rappelle durement de ne pas se détourner de l'objectif de la pénitence dans les plaisirs de musique et de la poésie. L'art apparaît comme à double tranchant, et les plaisirs qu'il apporte peuvent être dangereux. On se rappelle Francesca et Paolo, menés au pêché, et condamnés à l'Enfer à cause d'un livre.

Deux rencontres mettent particulièrement en valeur Virgile : Sordello, un troubadour, qui exprime une admiration sans borne pour l'auteur de l'Enéide, rejoignant l'admiration de Dante lui-même, puis le poète latin Stace, prêt pour la joie de rencontrer Virgile, de passer une année supplémentaire au Purgatoire, par amour pour l'homme et son oeuvre. La notion d'amour commence à apparaître ici comme une notion essentielle, et elle est exprimée par les poètes. Elle est abordée encore plus explicitement par deux autres poètes, Guinizelli et le grand troubadour provençal, Arnaud Daniel. Dante a été inspiré par eux et il exprimera le secret, le sens névralgique de poésie, comme une proximité avec le principe universel d'Amour. Déjà chez les troubadours, l'Amour et l'écriture étaient inséparables. L'Amour est le moteur des actions humaines. Mais il ne s'agit pas d'un amour purement érotique, physique, comme l'ont décrit certains poètes, comme l'ont vécu Francesca et Paolo et qui les a conduit à la damnation. le principe d'Amour trouvera toute sa place et expression au Paradis, les poètes qui l'ont affleuré sans complètement saisir son principe se retrouvent donc au Purgatoire.

Mais le Purgatoire permet aussi à Dante d'expliciter sa vision politique. Il accorde une grande importance à l'Empire romain, dont il fait un grand modèle, dont il revendique l'héritage. Il exprime l'idée que cet Empire a eu une mission providentielle. Il le voit comme un empire universel, régnant sur le monde. L'Empire romain a été voulu par Dieu : sa stabilité et son caractère universel ont permis l'Incarnation, la venue du Christ. Ce n'est pas une idée vraiment nouvelle, on peut citer au IVe siècle le poète latin Prudence, qui a aussi avancé une telle idée, mais c'était dans le but d'abaisser l'orgueil des tenants de la culture latine traditionnelle : tout ce qu'ils revendiquaient en opposition au christianisme, les vertus, la morale, les victoires, avaient été décidés par Dieu, dans un dessein qui échappait complètement aux Romans eux-mêmes. Dante, en revanche, y voit la base de la légitimité de l'héritage de Rome, aussi bien artistique que politique. Il n'est pas interdit, mais recommandé de lire les auteurs latins, et l'Empire universel est indispensable. C'est l'Empire allemand qui incarne l'héritage de l'Empire romain, qui continue l'histoire de Rome. Dante attribue un rôle central à deux instituions, l'Empire et l'Église. Il faut que ces deux pouvoirs restent distincts, complémentaires. L'Église c'est le pouvoir spirituel, son rôle est de guider les âmes vers le salut, vers la béatitude dans l'autre monde. L'Empire c'est le pouvoir temporel, qui doit permettre le bonheur sur terre, grâce à la justice. Il ne faut pas que l'Empire empiète sur le spirituel, ni que l'Église empiète sur le temporel. Dante placera de grands espoirs dans l'empereur Henri VIII, qui semblait vouloir remplir le rôle que le poète italien assignait à l'Empire, mais Henri ne réussira pas à prendre Florence, et mourra précocement. D'où aussi la condamnation sévère de certains papes, dont Boniface VIII, qui auraient eu des ambitions politiques en désaccord avec leur véritable mission. Même si dans ce dernier cas, des considérations personnelles ont sans doute aussi jouées.

Et d'où aussi une sévère condamnation de la couronne de France. Dante croise ainsi au Purgatoire Hugues Capet, à la terrasse des avares et prodigues :

« Je fus racine de cet arbre mauvais
qui couvre d'ombre toute la chrétienté,
si bien qu'on y cueille rarement un bon fruit. »

La dynastie capétienne est un arbre mauvais pour toute la chrétienté. Dante reproche deux choses aux rois de France. La politique de Philippe visait une indépendance par rapport au pouvoir pontifical, elle visait un pouvoir du roi sur l'Église de France, ce qui empiétait sur le rôle que Dante attribuait à l'Église. Un grand conflit entre la couronne de France et la papauté va voir le jour, Philippe le Bel menaçant de déposer le pape. Mais les visées politiques de la couronne de France s'opposaient aussi à l'Empire. Ainsi, Charles d'Anjou, le frère de Saint-Louis a voulu se substituer aux empereurs allemands en Sicile. Sans oublier l'intervention de Charles de Valois à Florence, qui a provoqué l‘exil définitif de Dante. Il n'y a pas de place dans le système de Dante pour un autre pouvoir politique fort en dehors de l'Empire allemand. Deux ou plusieurs pouvoirs d'une force comparable ne peuvent déboucher que sur un affrontement, des guerres, des violences et des malheurs, de l'injustice. Il faut donc un unique Empire universel. L'Église et l'Empire, chacun à sa place, chacun remplissant sa fonction, sont les deux soleils qui peuvent mener les hommes vers le bonheur sur terre et le salut dans l'au-delà.

Même si Dante attribue une place forte au libre arbitre, les homme ont la liberté de faire le bien ou le mal, il y a une responsabilité de ceux qui ont la charge de les guider, qui ont le pouvoir. Un mauvais gouvernement peut provoquer le mal chez les hommes, et donc ceux qui sont aux postes de responsabilité sont doublement coupables, car ils ont aussi la responsabilité de ceux qu'ils ont poussé au mal.
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