J’écris cela dans une cellule de prison.
Mais je ne suis pas en prison.
Je suis écrivain.
Je ne suis ni là oû je suis, ni là où je ne suis pas.
Vous pouvez me jeter en prison, vous ne m’enfermerez jamais.
Car comme tous les écrivains, j’ai un pouvoir magique : je passe sans encombre les murailles.
Au-dessus, pas de miroirs.
Un mur.
Comme tout le monde, la première chose que j’ai l’habitude de faire le matin étant de me regarder dans la glace, j’ai levé les yeux au-dessus du lavabo.
Mon visage avait disparu,
J’ai eu l’impression de me cogner la tête contre ce mur.
Chacun regardait autour de lui en cherchant son image.
Rien.
Comme si on m’avait effacé de la vie.
Les Fées de la forêt
L'une des choses les plus insoutenables de ma vie en prison était de devoir me passer de livres.
(...) Enfin , un matin, alors que j'avais presque perdu espoir, j'ai entendu un bruit de clapet du côté de la porte, et un livre est tombé dans la cellule.(...)
La vie semblait soudain s'être libérée de ses chaînes, comme un morceau de terre mal arrimé s'arrache au continent dans un bruit de cassure énorme.
Je n'étais pas fini, je n'étais pas abandonné, je n'étais pas perdu.
J'avais un livre.
" Les Cosaques" de Tolstoï.
Léon Tolstoï, ce Zeus de la littérature, entrait dans ma cellule avec ses mille paradoxes.
Le génial écrivain était là, devant moi, surgi d'un lieu inespéré, avec son art de raconter (...)
( p.177)
Et dans cette cellule qui incarnait l'absence même de bonheur, je réfléchissais au bonheur, et tel alchimiste aveugle qui cherche à transformer le cuivre en or, essayais de percer ce secret capable de changer des "algues glacées " et des couvercles de cercueil " en bonheur pur.
( p.72)
Qui que soit le concepteur de cet endroit, il l'avait conçu sciemment afin que les détenus y vivent sans visage.Il devait penser qu'on briserait plus facilement la résistance des gens lors des interrogatoires s'ils avaient d'abord " perdu" leur visage.
Comme moi, tout le monde cherchait le sien.(...)
Il leur avait suffi de nous enlever les miroirs pour nous éliminer.
( p.41)
Le fait d’écrire contient ce paradoxe fabuleux qu’il est à la fois un refuge à l’abri du monde et un moyen de l’atteindre.
Un prisonnier compte tout. Sauf le temps. Le temps, il le découvre.
Marcher avec des menottes vous fait réaliser qu’on a autant besoin des bras que des jambes pour marcher correctement. Qu’il est très difficile de garder l’équilibre sans utiliser nos bras. Inévitablement, vous les bougez en marchant, et les menottes se resserrent.
Débarrassé des ailes que sont la vie et la mort, je faisais l'expérience d'un vol vertigineux dans l'apesanteur de l'éternité.
Me jeter en prison était dans vos cordes ; mais aucune de vos cordes ne sera jamais assez puissante pour m'y retenir.
Je suis écrivain.
Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas.