Je suis écrivain. Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas. Vous pouvez me jeter en prison, vous ne m’enfermerez jamais. Car comme tous les écrivains, j’ai un pouvoir magique : je passe sans encombre les murailles.
Tout le monde sur cette terre a une histoire à raconter, pourvu qu’il ait quelqu’un pour l’écouter ; ce n’est pas l’histoire qui est dure à trouver, c’est l’auditeur.
J'ai soixante-huit ans.
Et si je ne crois pas en Dieu, l'idée de Dieu me fascine.
Nous vivons sur une planète où les vivants mangent les vivants. Les hommes ne se contentent pas de tuer d'autres créatures, ils s'assassinent aussi entre eux, constamment. Les montagnes crachent le feu, la terre s'ouvre, engloutit hommes et bêtes, les eaux se déchaînent, détruisent tout sur leur passage, des éclairs tombent du ciel.
Ici semble résider l'un des paradoxes les plus curieux du genre humain, capable de concevoir que la terre, ce lieux affreux, puisse être l'oeuvre d'une puissance "parfaitement bonne", et d'ainsi démontrer que les hommes sont dotés malgré la barbarie constitutive de leur existence, d'une imagination exagérément optimiste.
Ils croient qu'une "force" a créé tout cela, mais au lieu de s'en plaindre et de la détester, ils l'adulent, pleins de gratitude et de reconnaissance.
Aussi suis-je fasciné depuis ma jeunesse, par cette religion qui fait voir aux hommes une "bonté" à l'oeuvre derrière le spectacle des horreurs terrestres qu'ils constatent chaque jour.
Dieu, sublime métaphore.
Comme tant d'autres écrivains, j'aime à roder autour de cette métaphore prodigieuse. L'effort infini, le hasardeux désespoir dont font preuve les hommes lorsque, cherchant à "bonifier" leur nature, inquiète de sa propre barbarie, effrayée de sa propre malignité, ils imaginent ce "foyer de bonté" situé hors d'eux mêmes, voilà quelle pathétique recherche me semble résumer l'aventure humaine.
Certains êtres possèdent une noblesse d’âme, d’autres sont vils ; aussi peut-on rencontrer autant d’êtres vils parmi les prisonniers, que d’âmes nobles parmi les gardiens.
Viktor Frankl
Les combles de notre esprit grouillent d'un tas d'êtres que nous ignorons, inconnus, invisibles, ce sont eux qui viennent la nuit mettre sens dessus dessous tout ce que nous avons réussi à mettre en ordre dans la journée.
Ils se promènent tranquillement en nous, tellement à leur aise qu'on ne sait plus très bien si c'est nous, ou bien eux, le propriétaire des lieux.
De la baraque, en tous cas, nous ne sommes pas tout à fait maîtres, les rêves en sont la preuve.
Non moins effrayante, l’idée qu’après avoir dégoté un Dieu qui les exhorte à « être bons », s’être ensuite éventuellement massacrés en son nom, ils veulent en plus croire que ce Dieu, dans sa « bonté parfaite », possède les clés d’une chambre de torture qu’on appelle l’ « enfer ».
Si « tout change » sur cette terre, la connerie et la lâcheté, elles, ne prennent jamais une ride.
Pendant des mois je n’ai pas vu ni effleuré le moindre livre.
Interdiction de faire venir des livres « de l’extérieur ». Dans la prison il y avait bien une bibliothèque, mais elle était fermée.
J’ai grandi dans une maison pleine de livres. J’ai passé toute mon enfance parmi eux. Les livres étaient comme des fées au milieu d’une forêt qui me semblait oppressante, effrayante, et à cette forêt dont la nature profonde m’échappait, j’aimais mieux les charmes scintillants des fées, leur ravissant mystère et leurs sourires pleins de promesses.
Je me suis allongé.
Silence.
Un silence profond, extrême.
Pas un bruit, pas un mouvement.
La vie soudainement s’était figée. Elle ne bougeait plus.
Froide, inanimée.
La vie était morte.
Morte tout d’un coup.
J’étais vivant et la vie était morte.
Alors que je croyais mourir et que la vie continuerait, elle était morte et je lui survivais.
Je ne suis pas en prison, je suis écrivain. Enfermez-moi où vous voulez, je parcours encore le monde avec les ailes de l’imagination.