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Critique de PatriceG


Les processus psychiques inconscients à l'oeuvre dans le travail littéraire, vous parlez si ça m'intéresse ; si vous ajoutez à ça un vouloir éditorial de pointer : " une psychanalyste a dit que .. sur Tourgueniev, il ne m'en faut guère plus pour aller voir si je ne suis pas en train de fantasmer ! D'autant plus qu'envers Tourgueniev, les conclusions qui sont en général tirées me convainquent parfois du contraire. Il y a tellement eu de schématisation, qu'on tente de démythifier le personnage à coups d'euphémismes.

Ah, ah ! Et ben, contre toute attente, il me semble que AA, Annie Anargyros nous livre un point de vue original sur les géants russes qu'elle se plaît à étudier, et je dirais même plus pour lesquels elle se prend de passion littéraire.

Steiner, l'érudit des études comparées dans le champ des maîtres des belles lettres avait le chic pour trouver un angle de vue introuvable comme la face cachée de la lune. Il, il semble que l'intéressée ait complètement abandonné son perchoir pour la passion que suscite la lecture de ces grands artistes que le monde entier envie à la Russie aujourd'hui. Oui je pense que tolstoï d'abord, puis Tchékhov, Tourgueniev ont séduit AA, et c'est la connaissance des hommes et de leurs oeuvres qui l'ont définitivement ralliée à la cause littéraire et ça donne un résultat surprenant. Je lui sais gré d'avoir tout lu et de s'en faire son propre jugement, fût-elle psy à la base, éloignée de la tentation des écoles et des chapelles. Les rumeurs ont la vie dure avec elle : son propos est précis, impérieux et vérifié. Il est guidé par un fort sentiment intuitif et un sens inné de l'observation.

La passion de AA pour les géants russes est née il y a une vingtaine d'années en lisant tolstoï, Résurrection d'abord qui l'a enthousiasmée, puis tout le reste de son oeuvre. Elle y a notamment trouvé une dérive vers la misogynie, ce que je ne partage pas, et s'est demandée pourquoi ce romancier virtuose a pu décliner vers une telle propension : il faut donc lire La Déchirure.

Ici, le troisième gros client de son analyse est Tourgueniev qu'elle renvoie à un écrivain entre deux rives. Elle va chercher dans son intimité, dans ses fréquentations, dans ses amours, ses rebuffades, ses volte-faces qu'elle rapproche des sommations littéraires de l'artiste pour proférer des choses originales, instructives. J'y vois intelligence, sagacité et une patience à la Troyat ..

Tourgueniev n'écrira que sur la Russie, bien qu'il passât la moitié de son temps, en voyages, et en France. L'appel de la mère patrie, en particulier Spasskoïé son domaine, sera à en croire cette inclination, le plus fort. Dès qu'il le put, il fuira sa mère qu'il aimait et le tourmentait à la fois par sa cruauté. Les autres raisons de son exil furent la guerre intellectuelle entre les slavophiles et les occidentalistes qui s'étripaient par journaux interposés et qui finirent par le lasser et même lui nuire puisqu'il fut inquiété par le régime impérial pour s'en être mêlé ; et puis bien sûr sa rencontre avec Pauline Viardot la cantatrice dont il demeura inséparable jusqu'à la fin de ses jours. Son seul vrai réconfort à vrai dire était Spasskoïé, mais dès qu'il y était, il s'ennuyait aussi de Pauline. Ce fut très compliqué tout ça : il était pris dans ses contradictions nombreuses, mais écrire dans sa langue et sur ses terres de l'enfance et de l'adolescence lui était nécessaire. La mélancolie envahit l'homme, puis la maladie qui le paralysa en France. Il ne pouvait désormais plus voyager ..

Tourgueniev et Flaubert, selon AA
"On dit que Tourgueniev était le plus français des russes"
On pourrait dire aussi que ce n'est pas faux !..
Il a eu la chance de côtoyer le gratin des belles lettres de l'époque : Flaubert, Maupassant, Daudet, Zola. Bon, il est venu aussi avec son argent, et non comme un va-nu-pieds de Russie : un bon client pour la France ! de surcroit, il voyageait, retournait en Russie et aimait une française en vue, donc pas de sentiment d'un étranger à charge, bien au contraire.
Mais celui que IT appréciait le plus était sans doute possible Flaubert. A cause de leurs affinités : la même tenue à l'égard de la société dont ils se moquaient, leur talent littéraire, une appréciation de la vie sans artifices. Leur correspondance de 1873 à 1880 atteste de tout ça ! Ils ne semblaient avoir de secrets l'un pour l'autre ; une amitié indicible, indéfectible les unit.
Une grande partie de leurs lettres est occupée par le récit des critiques de leurs livres respectifs, des problèmes avec le monde de l'édition, de leurs projets en constante gestation. Ce qui étonne, c'est leur passion ? S'il y a bien un livre qui tombe à pic pour éclairer cette dimension c'est bien celui de Zviguilsky : Correspondance paru en 1989. Leur familiarité excessive, fortement de la part de Flaubert, n'est nullement feinte. IV est vraiment aux petits soins avec GF. Ce dernier lui jalouse son amour viscéral pour Pauline Viardot, de même son amitié envers d'autres écrivains au sens de l'absence qu'ils provoquent. Oui il se trouve que Tourgueniev, éternel voyageur, le déçoit souvent ..
"Ainsi, en 1875, il décommande une visite prévue depuis des mois car il ne veut pas renoncer à une invitation en Ecosse pour chasser la grouse"

Qu'est-ce que c'est la grouse : on en a un aperçu sur les bouteilles connues de whisky Famous Grouse.
Alors, à la santé de l'amitié si particulière de Tourgueniev et de Flaubert qui nous étonnera toujours.

Le crépuscule de leur relation sera moins drôle : tous les deux avaient souvent la crève, ce qui les rendaient mélancoliques. "Depuis quelques temps, nous nous écrivons des lettres fort tristes, cela sent la maladie, la mort !"

Flaubert mourra en mai 1880, et Tourgueniev en 1883 : ils avaient respectivement 59 ans et 64 ans.
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