Parce que Coline le sait bien : si les traits de leur visage sont proches, Jessica a de jolies pommettes là où Coline affiche des joues plus pleines ; le nez de la première est légèrement plus retroussé que celui de la seconde ; l'une arbore des traits moins grossiers que l'autre. Ce n'est pas grand-chose, c'est l'accumulation qui ternit le résultat. A ceci s'ajoute que Jessica vise le monde comme s'il lui appartenait et qu'elle aimante tous ceux qu'elles croisent. C'est un don que Coline, elle, n'a jamais eu. Alors, au jeu de la comparaison, Coline perd toujours. Elle plaît moins.
Alors elle hurle. Elle hurle le prénom de sa fille, encore, mais le cri devient primal, bestial, le "a" de Jessica se perd dans les ténèbres, les feuilles bruissent et l'emportent, le diffusent, loin, très loin. Patricia hurle jusqu'à ne plus avoir de souffle, jusqu'à ce que ses poumons soient deux ballons de baudruche entièrement et pathétiquement dégonflés. Puis elle reprend une inspiration, et recommence, le rugissement se fait grave, sa voix est méconnaissable, c'est le cri d'une louve qui hurle à la lune, c'est le cri d'une lionne à qui on a arraché son bébé, c'est violent, c'est désespéré, c'est enragé...
Les souvenirs sont des choses précieuses, aussi imprévisibles et étincelantes qu'une étoile filante. Pourquoi tel ou tel moment reste-t-il jamais gravé dans la mémoire de quelqu'un ? Pourquoi d'autres s'effacent-ils au fil du temps, malgré le souhait qu'on pourrait avoir de ne pas les perdre ?