AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Antyryia



En conclusion, Les secrets est un roman aux personnages touchants et incroyablement justes, à la construction particulièrement habile, à côté duquel vous ne devez surtout pas passer. Si le suspense et la noirceur sont cette fois moins présents que dans les précédents ouvrages de l'auteure, la finesse psychologique de chacun des protagonistes est quant à elle à son apogée grâce aux réflexions sur la parentalité, qu'elle soit imposée ou ardemment désirée.
Amélie Antoine, en l'espace de quelques livres seulement, a définitivement rejoint le cercle de mes auteurs préférés.

- Euh ... Anty, tu fais quoi là ? Tu commences ta critique par la conclusion ?
- Oui, c'est un clin d'oeil au roman qui commence par la fin avant de remonter le temps au fur et à mesure des chapitres. Il commence page 391 en septembre 2015 et s'achève en 2009 avec le premier chapitre, page 31.
- Et tu as réussi à y comprendre quelque chose quand même ?
- Ben oui, j'suis pas beubeu ! En fait, tout l'intérêt de ce voyage dans le temps est de comprendre comment les principaux personnages en sont arrivés là aujourd'hui. Quelles épreuves ils ont traversé, quels évènements ils ont vécu, comment tout a pu s'enchaîner pour les retrouver tels qu'ils sont décrits initialement.
- Et c'est si original de commencer par la fin ? Ca doit quand même gâcher le suspense de connaître le nom de l'assassin dès le départ.
- Ce n'est pas tant de savoir comment ça se termine dès le début qui est original, c'est de pouvoir lire Les secrets dans les deux sens si on le souhaite : A rebours comme le propose l'auteure ou chronologiquement en suivant l'ordre des chapitres, même si l'intérêt est moindre. Et mis à part Patrick Senécal ou Franck Thilliez qui ont proposé respectivement les livres le vide et Rêver avec des constructions similairement habiles, je connais peu d'écrivains capables d'une telle prouesse dans la façon de raconter une histoire. Et puis tu sais, il n'y a pas de dangereux psychopathes dans chacune de mes lectures !
- En tout cas, une chose est sûre : cet exercice ne se prête pas aux critiques, surtout que tu n'as pas le quart du dixième du talent d'Amélie Antoine. Alors parle-nous plutôt du début de la trame, et de ce qui t'a amené à cette ... conclusion.

Nous faisons connaissance dans le vingtième ( et premier, si vous avez bien suivi ) chapitre du couple phare du roman : Mathilde, bibliothécaire et son conjoint Adrien, professeur de philosophie.
A trente-six ans, Mathilde découvre qu'elle est enfin enceinte, un résultat auquel elle ne s'attendait plus, résignée.
"On a attendu, on a espéré, on a despépéré, on a arrêté d'y croire et c'est enfin arrivé !"
On comprend à quel point ces deux-là n'y croyaient plus, que c'est la conclusion de leurs nombreuses années de doutes et de galères. Une bonne nouvelle tellement surprenante et inattendue qu'ils ont tout d'abord du mal à s'en réjouir avant de laisser leur joie et leurs sentiments s'exprimer, exploser.
"Il l'aimait vraiment, et c'était réciproque."
Parallèlement ( et l'alternance aura lieu tout au long du roman ), nous faisons la connaissance de Yascha, chauffeur de taxi, un jeune homme de vingt-huit ans anéanti par sa rupture avec Mahaut. Il ne sort quasiment plus, noie son chagrin dans l'alcool, se laisse totalement aller. Il devait garder sa fille Jeanne cette semaine mais vu son piètre état, il a préféré décliner la proposition de son ex Elodie, la laissant une nouvelle fois se débrouiller seule.
Et c'est la fin. A l'exception d'un épilogue pas forcément indispensable, c'est ici que vous devrez laisser tous ces personnages continuer leur vie au-delà des pages.
Même si c'est en partie suggéré, jamais nous ne connaîtrons l'avenir de la grossesse de Mathilde ( "Elle est épuisée alors que dans un sens, c'est maintenant que tout commence." ), pas plus que nous ne saurons combien de temps il faudra à Yascha pour se remettre de cette séparation.
En revanche, nous en saurons davantage sur leur passé, en particulier sur les difficultés rencontrées par Mathilde pour tomber enceinte et les répercussions que ces tentatives auront dans son quotidien.
Amélie Antoine nous parlera également plus en détails de Yascha, de sa séparation avec Mahaut mais aussi des circonstances lors desquelles la jeune Elodie et lui sont devenus parents.
Ces personnages auront droit à une sorte d'arrêt sur image une fois par an, qui racontera un moment important de leurs vies, remettant parfois en perspective ce que nous pensions d'eux, et comblant bien sûr les vides de nos interrogations.

Si les histoires de Mathilde et Adrien et celles de Yascha et d'Elodie fonctionnent en alternance et peuvent presque se lire indépendemment l'une de l'autre, elles s'avèrent cependant très vite connectées, à des moments où ne s'y attend pas forcément. Et quand leurs deux univers respectifs se croisent, qu'il s'agisse d'un instant décisif ou anecdotique, c'est toujours aussi intense qu'un retournement de situation. Ces deux couples, l'un séparé et le second ensemble depuis seize ans, évoluent en effet dans la métropole lilloise et vont être amené à lier leurs destinées à bien des moments.
De petits détails également, presque insignifiants au premier abord, trouveront toute leur signification dans les racines du passé, enrichissant encore le roman.
Ainsi que les références à la propre bibliographie d'Amélie Antoine. Beaucoup apprécieront le clin d'oeil à Fidèle au poste lorsque Mathilde reste à s'abrutir devant la télévision, sans aucune énergie.
Mais il y en a au moins un autre :
"Moi aussi, j'ai toujours peur de perdre mon fils si je détourne les yeux ne serait-ce qu'une seconde."
Les lecteurs de Sans Elle comprendront à quoi je fais allusion.

La grande force de ce roman, c'est surtout ses personnages, encore une fois plus vrais que nature. Amélie Antoine a un don reél pour les faire prendre vie sous sa plume.
Une écriture unique, désormais reconnaissable en quelques lignes seulement, simple, fluide, et si pleine d'émotions et de sincérité.
On vit avec ces personnages qui prennent progressivement consistance sous nos yeux tant ils nous ressemblent. La colère, la peur, l'indifférence ; l'irresponsabilité, l'amour, la jalousie : ils passent successivement par toutes les couleurs de la palette des émotions et des sentiments que nous connaissons si bien, ce qui facilite notre empathie - notre dégoût aussi, parfois - comme s'ils existaient au-delà des pages d'un livre. Ils nous ressemblent ou sont semblables à des gens que nous connaissons, sans que le trait ne soit pour autant caricatural.
Dans Les secrets, toutes les générations sont représentées et présentent un éventail de personnalités tellement vraies !
Je pense au grand-père bougon de Yascha, propulsé en maison de retraite contre sa volonté, qui se demande s'il n'a pas perdu la tête en apprenant qu'il a une petite fille.
Je pense aussi à Catherine de Vaillac, l'odieuse mère de Mathilde, qui est incapable de faire preuve de tact avec sa fille et qui est à des années-lumière de comprendre ou même de respecter son besoin d'avoir un enfant.
"Un enfant, ça enchaîne, ça handicape."
Quant aux principaux personnages, ils sont capables d'attirer notre profonde sympathie ou notre sévère désapprobation, en fonction des circonstances ou de la façon dont chacun a évolué au fil des années.
Ca n'est peut-être pas tout à fait vrai pour Adrien, qui est décrit comme un homme idéal à tous points de vue, aimant au-delà de toute raison la future mère de ses enfants, toujours là même lorsque Mathilde se montre ingrate, toujours à démontrer son amour à tous moments de façons on ne peut plus sincères et originales. Un homme quasiment parfait aux attentions touchantes et aux réactions mesurées même dans les moments les plus difficiles.
Elodie attire elle aussi notre sympathie, elle qui a vu ses amies et sa famille se détourner d'elle quand elle est devenue mère à dix-neuf ans. Qui a également du renoncer à ses études et faire de nombreux sacrifices personnels pour parvenir à élever sa fille Jeanne du mieux possible. Elle a du devenir adulte bien avant l'heure, ce qui force le respect en dépit de quelques maladresses liées à sa jeunesse.
Yascha, le père de Jeanne, joue le rôle du parent plus tolérant, plus coulant, qui gâte sa fille lorsqu'il la voit, un week-end tous les quinze jours. Son affection est également touchante. Sa fibre paternelle évoluera avec le temps. Mais il est longtemps resté un grand adolescent , un fêtard invétéré, qui n'a pas su devenir responsable quand il est devenu père.

Quant à Mathilde, elle est à part. Personnage le plus développé du roman, elle suscite la compassion comme l'incompréhension, l'envie parfois de lui donner la main ... pour brusquement la lâcher au bord du gouffre.
"Tu crois que c'est facile de te ramasser à la petite cuillère tout en continuant à faire bonne figure ?"
Elle suscite des sentiments très mitigés, contradictoires, parce qu'elle est ambiguë et complexe, presque bipolaire dans ses réactions.
"Mathilde est passée de l'état amorphe à l'hystérie en quelques fractions de secondes."
Les secrets, c'est elle qui les détient. Les mensonges lui viennent naturellement et bien souvent, elle se fera passer pour une mère fictive, s'inventant en société un enfant qu'elle n'a pas.
"Elle ne cherche jamais l'inspiration, les histoires qu'elle invente sortent presque toutes seules de sa bouche."
Son désir de devenir mère devient de plus en plus obsessionnel au fur et à mesure que tourne son horloge biologique, et chaque échec fait grandir sa frustration. Elle voit des bébés ou des femmes enceintes partout, elle est incapable de se réjouir à l'annonce de la grossesse d'une amie. Et si sa frustration se comprend, si sa douleur se conçoit, on lui pardonne moins ses accès de colère envers un conjoint qui a toujours pour volonté de la rassurer.
"On dirait que tu n'es plus que cette femme en mal d'enfant, on dirait qu'il n'y a plus rien d'autre qui compte, que ce désir t'a complètement accaparée."
Quelle solution lui reste-t-il ? Son passé peut-il tout expliquer ?
J'ignore si cette femme torturée vous agacera ou si au contraire vous pleurerez avec elle, mais en aucun cas elle ne pourra vous laisser indifférent.

Ce roman est vraiment susceptible de s'adresser à tous. S'il met l'accent sur les difficultés de certains couples à concevoir un enfant, la vision d'ensemble de la parentalité est beaucoup plus large. Nul besoin par ailleurs d'être père ou mère, homme ou femme, pour apprécier et se sentir concerné par ces pages qui s'adressent à tous. Vous n'avez peut-être aucun point commun ni avec la jeune Elodie, enceinte à dix-huit ans, ni avec Mathilde qui le sera à un âge deux fois plus élevé. Vous ne vous sentirez pas forcément d'affinités non plus avec le romantique Adrien ou avec l'immature et déboussolé Yascha. Pourtant, vous trouverez forcément dans le roman des éléments qui résonneront au plus profond de vous, de vos souvenirs, de vos expériences. Ou vous parviendrez tout simplement mieux à comprendre certains de vos proches qui ont eu des parcours semblables.
Grâce à cette lecture aisée, accessible, et néanmoins prenante et très riche.

Pour toutes ces raisons j'ai trouvé ce millésime 2018 quasiment magistral, même si j'émets quand même quelques petites réserves.
Un personnage m'a agacé, il s'agit de la grand-mère d'Elodie. Elle ne joue qu'un maigre rôle indirect mais ses proverbes m'ont un peu irrité par leur grande banalité et n'apportent rien.
Le livre se lit comme un roman à suspense, avec une envie de dévorer les pages pour découvrir la vérité, pour aller de révélations en révélations. Et si en effet quelques-unes parsèment les chapitres la principale arrive très tôt et ensuite ça manque quand même de secousses. Probablement trop habitué aux thrillers, je m'attendais davantage à avoir le cerveau complètement retourné. Or, il s'agit ici principalement de moments du quotidien qui composent les journées des protagonistes, mettant en exergue leurs caractères, leurs personnalités de fort belle façon. Mais il manque un soupçon d'effet de surprise à mon goût.
Enfin, s'il s'agit d'un livre ponctué de moments tristes, je n'y ai pas non plus retrouvé la noirceur que j'apprécie tant d'habitude chez la Lilloise. Il me laissera un goût moins amer et donc moins inoubliable que Sans Elle ou Au nom de quoi.
Mais ce ne sont que des gouttes d'eau qui n'ont pas empêché l'océan de flammes de brûler.

En conclusion, Les secrets est un roman aux personnages touchants
- Euh, Anty ? Tu l'as déjà écrite, la conclusion, au tout début !
- Ah oui, c'est vrai ...

Commenter  J’apprécie          361



Ont apprécié cette critique (29)voir plus




{* *}