Citations sur Seul le grenadier (72)
Après plusieurs semaines de bombardements, nous nous étions réveillés un matin pour trouver le ciel noir. La fumée des puits de pétrole incendiés au Koweit le bouchait complètement. Une pluie noire était ensuite tombée. Elle avait tout imprégné de suie, c'était comme le présage de ce qui allait suivre.
Le lac était d'une splendide beauté. Tel un baume, sa bleuité adoucissait le coeur assoiffé par un désert impitoyable, qui le cernait de toutes parts. Des dépôts de calcaire en forme de chou-fleur recouvraient étrangement sa berge. Ils constituaient une sorte de clôture autour du lac, en se dressant par-dessus les cavités que les sels contenus dans ses eaux creusaient sous l'effet des vagues.
Sawa est le seul lac au monde qui se nourrit entièrement des eaux souterraines, avait-il continué de m'informer. Mentionné dans le "Dictionnaire des pays" établi au début du XIII ° siècle par Yaqout al-Roumi al-Hanawi, son histoire remonte à l'époque antéislamique. La ville qui était alors bâtie ici s'appelait Alis; elle a dû connaître une furieuse bataille entre les Perses et les Arabes au temps des conquêtes islamiques.
Au début, je ne savais pas qu'il allait devenir mon étoile, celle qui allait éclairer ces lieux pour moi.
J'avais redécouvert la beauté des étoiles. Je ne m'étais jamais aperçu auparavant de cette immense quantité d'étoiles qui constellent le ciel. Lorsque, petis, nous dormions les nuits d'été sur le toit, je me plaisais à les regarder. Et cette joie, je l'avais retrouvée, comme tant d'autres citadins, sans doute, qui se séparent des scintillements artificiels des villes. Je m'étais vu, tel un berger avec son troupeau, en train de les surveiller toutes les nuits.
Si elle était là, à Bagdad, je ne pourrais pas la voir de toute façon, car elle habiterait le secteur opposé, et parce que Bagdad, cette vaste prison où l'on avait encore la possibilité de circuler librement, s'est réduite à une multitude de cachots collés les uns contre les autres, tous gardés par les milices; un geolier à l'affût d'un autre geolier, et qui l'enserre dans de hautes murailles de béton.
En vagabondant sur Internet comme je le faisais souvent dernièrement, pour m'évader dans d'autres mondes que le mien, j'ai trouvé un site dédié à Mouzaffar al-Nawwab, où l'on pouvait écouter des enregistrements de ses poèmes lus de sa douce voix. "Tant de jasmins/Bercés sur mon sein!", ces vers m'ont ramené plus de dix ans en arrière, à mes matinées passées avec Rim, au jasmin d'Arabie qu'elle cueillait dans leur jardin et me donnait. Ce parfum qui s'insinuait dans chaque cellule de mon corps m'est revenu, ainsi que sa voix limpide et suave, lorsqu'elle disait : "C'est pour toi !"
Mais les paroles mielleuses du début se sont révélées des paroles en l'air, comme celles des partis politiques avant de prendre le pouvoir.
L'être humain dans l'univers de Giacometti m'a paru solitaire et triste; plongé dans la brume, il part de l'inconnu pour aller vers l'inconnu.
J'ai appris qu'il était suisse, né en 1901 et mort en 1966, qu'il avait donc traversé les deux guerres mondiales; ce qui pourrait expliquer la tristesse dans son oeuvre. Il avait étudié la sculpture à Genève puis à Paris, dans l'atelier d'Antoine Bourdelle, un disciple et collaborateu r de Rodin. D'abord cubiste puis surréaliste, le primitivisme avait aussi exercé une grande influence sur son travail, mais son style avait acquis une telle singularité par la suite qu'il était devenu impossible de le classer ou de l'affilier à un seul courant.