Grande inutilité, mer moutonnante, je suis ta falaise rongée. (page 96)
Chaque jour ils veulent dormir davantage. Ils sont enivrés de leurs paroles si on les leur rapporte. Partout ils s’endorment. (page 89)
Ainsi les premiers surréalistes, quand ils eurent atteint à une fatigue extrême par l’abus de ce qui leur semblait encore un simple jeu, virent se lever les prodiges, les grandes hallucinations qui accompagnent l’ivresse des religions et des stupéfiants physiques. C’était au temps que nous nous réunissions le soir comme des chasseurs, nous faisions notre tableau de la journée, le compte des bêtes que nous avions inventées, des plantes fantastiques, des images abattues. (page 86)
Ils s’y sont jetés comme à une mer, et comme une mer trompeuse voici que le surréalisme menace de les emporter vers un large où croisent les requins de la folie. (page 86)
Leurs esprits sont des monstres hybrides, enfants du singulier amour de l’huître et de la buse. (page 84)
Dans d'autres conditions, Desnos pour peu qu'il se prenne à ce délire deviendrait le chef d'une religion, le fondateur d'une ville, le tribun d'un peuple soulevé. Il parle, il dessine, il écrit. Les coincidences accompagnent bientót les récits des dormeurs. On voit bientôt naitre l'ère des illusions collectives. et sont-ce après tout des illusions? Les expériences répétées entretiennent ceux qui s'y soumettent dans un état d'irritation croissante et terrible, de nervosité folle. Ils maigrissent. Leurs sommeils sont de plus en plus prolongés. lls ne veulent plus qu'on les réveille. lls s'endorment à voir dormir un autre, et dialoguent alors comme des gens d'un monde aveugle et lointain, ils se querellent, et parfois il faut leur arracher les couteaux des mains. De véritables ravages physiques, la difficulté à plusieurs reprises de les tirer d'un état cataleptique où semble passer comme un souffle de la mort, forceront bientôt les sujets de cette extraordinaire expérience, à la prière de ceux qui les regardent accoudés au parapet de la veille, à suspendre ces exercices, que ni les rires ni les doutes n'ont pu troubler.
À ceux-ci, rien ne fera entendre la vraie nature du réel, qu'il n'est qu'un rapport comme un autre, que l'essence des choses n'est aucunement liée à leur réalité, qu'il y a d'autres rapports que le réel que l'esprit peut saisir, et qui sont aussi premiers, comme le hasard, I'illusion, le fantastique, le rêve. Ces diverses espèces sont réunies et conciliées dans un genre, qui est la surréalité.
Qui est là ? Ah très bien : faites entrer l'infini.
Je rêve d'un long rêve où chacun rêverait.
[A propos de la poésie de Paul Eluard]
"ce sursaut des étoiles"