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Critique de Butylphenyl


On vous a sans doute déjà demandé quel livre vous a laissé(e) hagard(e), ému(e) au point de ne plus savoir quoi faire. Jusqu'ici j'avais pour seule réponse la trilogie Auschwitz et après de Charlotte Delbo – que je vous recommande chaudement. Il faudra désormais faire un peu de place à Reinaldo Arenas et son Avant la nuit, autobiographie vertigineuse que j'ai reposée la gorge nouée et les yeux gonflés.

Ce qui frappe d'emblée c'est la sincérité de ces 400 pages. Reinaldo Arenas s'y lie moralement au lecteur et applique, sans en avoir conscience, le pacte autobiographique défini en 1975 par Philippe Lejeune. C'est simple, il raconte tout, absolument tout ou plutôt il n'omet rien : ses penchants zoophiles enfant, sa 1ère relation sexuelle à 8 ans avec son cousin, ses multiples aventures – 5000 selon lui ce qui lui vaudra souvent d'être taxé de mythomane – mais aussi les persécutions à cause de son homosexualité et de ses opinions politiques, l'endoctrinement communiste, la torture, les camps de concentration, la dictature de Batista, celle de Castro et les amitiés qu'elles ont brisées ou consolidées.

J'ai eu l'impression d'écouter un grand oncle me raconter son destin hors du commun avec son lot d'anecdotes parfois attendrissantes (sa relation à Lazaro à qui il a dédié le Portier ou à Jorge et Margarita qui l'ont tant aidé), parfois terrifiantes et dignes d'un épisode de 24 (la tentative de détournement d'un avion avec des grenades), un grand oncle avec qui je ne m'accorde pas sur tout (je peux presque m'entendre lui rétorquer : et pourquoi il n'ont jamais de prénoms les noirs dans tes histoires ?) mais toujours passionnantes car reflet d'une vie et avec elle, d'un autre temps, de ses dérives, qu'il ne faut pas oublier, de son héritage, qu'il faut préserver.

Les chapitres s'enchaînent de façon thématique et sont très courts – à l'exception de celui sur l'érotisme (axé majoritairement sur l'éphébophilie de son auteur) et la prison. Il faut lire – vraiment – ce qu'a été la dictature castriste (ubuesque jusqu'à restreindre l'accès à la mer pour éviter qu'on ne quitte le pays !) et ce qu'elle a impliqué pour toutes les personnes qui s'y sont opposées ou ne l'ont simplement pas pleinement embrassée. Les passages sur l'expérience concentrationnaire à l'UMAP (Unité Militaire d'Aide à la Production) puis ceux à la prison du Morro m'ont rappelé par leur fonctionnement, abject et intolérable, les écrits de Soljenitsyne ou Semprun. Comme ce dernier, Reinaldo Arenas fait état ici d'un témoignage qui ne peut être totalement partagé, compris, transmis : “les hommes dans leur immense majorité ne nous comprennent pas et d'ailleurs on ne saurait le leur demander ; ils vivent leurs propres terreurs ; le souhaiteraient-ils qu'ils ne pourraient pas réellement comprendre les nôtres ; encore moins les partager.”A l'inverse toutefois, il rend compte de ce que sont l'écriture et la vie quand elles résistent ensemble, de concert.

Avant la nuit est une oeuvre où transparaît entre chaque ligne la vie et les convictions (anti communiste, anti-capitaliste) de Reinaldo Arenas : sans demi mesure. Ce guajiro qui mangeait de la terre petit parce qu'il fallait bien manger quelque chose, qui travaillait 12h pour un peso, qui construisait des mezzanines en bois pour sa chambre en cachette parce que c'était à la mode mais interdit, qui dut réécrire nombre de ses manuscrits confisqués par la police, parfois à la lumière d'un briquet, caché dans un parc, qui ne cessa jamais de se battre pour sa liberté et celle de son pays et mit d'ailleurs cet attachement en pratique jusqu'à sa dernière heure puisqu'il choisit le suicide (je précise que nous l'apprenons dès les 1ères pages). Ou comme il l'écrit à propos d'Olga Andreu qui mit également fin à sa vie : "Sa mort fut peut-être un acte de vie ; il y a des moments où continuer de vivre c'est se rabaisser, se compromettre, mourir de répugnance."

•°•°•°• A lire tout particulièrement si :
- vous vous intéressez à la culture et l'histoire cubaines ;
- vous aimez les récits sincères, qui ne prennent pas de gants (même s'ils peuvent heurter votre sensibilité) ;
- vous adorez écouter votre grand-père ou grand-mère vous raconter sa vie ;

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