En contrebas de la ville, on voyait le rio Lindo, serpent d'or ondulant parmi les forêts et les prairies, dessinant d'amples courbes, animé par ce mouvement continu, qu'il s'agirait de juguler avec le barrage. Chaque rivière avait sa personnalité, Guilherm en connaissait des dizaines intimement, dont il pouvait dessiner de mémoire les atermoiements à travers les topographies accidentées. Et comme les passionnés d'oiseaux qui en font des captifs, il trouvait un plaisir paradoxal à contrôler ces cours d'eau dont la sauvagerie le fascinait.
Indira lui avait expliqué que les animaux devinaient les intentions des hommes, qu'ils effarouchaient moins quand on les regardait avec bienveillance. Le tatou ne la prenait visiblement pas pour une menace.
La vieille sent l'eau affleurer au niveau de sa bouche, elle entrouvre légèrement les lèvres, puis plonge son regard vers les montagnes, vise la cime du mont Niebla, avant de fermer les paupières. Le froid lui fait perdre peu à peu la notion du temps, elle ne cherche pas à de débattre.
Était-elle en train de dériver vers une existence contre laquelle elle s'était mille fois dressée ? Mais c'était une douce dérive, entre les rangées de caféiers, aux côtés de Jim, dans cette ferme à laquelle ils avaient redonné vie.
En construisant des barrages, il avait l'impression de prendre part au grand ordonnancement du monde, d'infléchir d'une façon minuscule la marche de la nature, et ce sentiment était le plus jouissif qu'il connaisse.
Le problème avec ce barrage, c'est qu'il nous impose une certaine idée de ce qu'est une rivière, des services qu'on peut en tirer ; qu'il nie sa nature même, sa liberté, celles des espèces qui y vivent ... Pour nous, cette rivière ce n'est pas juste un objet d'étude ou d'application de techniques, c'est une force qui nous dépasse, qu'il faut respecter. C'est un être vivant.
Ce bled perdu, il le ferait entrer dans l'histoire.