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Critique de NMTB


NMTB
20 décembre 2014
Artaud publia cet essai en 1947, suite à une exposition sur Van Gogh et l'article d'un psychiatre qui qualifiait van Gogh de fou. le ton est donc assez polémique et mélange des réflexions sur le peintre avec de violentes charges contre la psychiatrie et la société.
A propos de la peinture, il s'arrête particulièrement sur le dernier tableau de van Gogh, le champ de blé aux corbeaux. Sommet et achèvement de son oeuvre, selon Artaud. Il qualifie ce tableau de riche, somptueux et calme, joyeux et ténébreux, passionné. C'est l'oeuvre d'un homme qui est prêt à mourir, « la porte occulte d'un possible, d'une réalité permanente possible… d'un énigmatique et sinistre au-delà. » Il insiste aussi sur la simplicité de van Gogh, sur son goût pour les choses les plus simples, les chaises, les souliers, les lits, des sujets sans anecdotes, sans symbolisme ; c'est dans les choses les plus quotidiennes, les plus terre à terre, les plus naturelles que Van Gogh cherchait l'infini. Artaud connaissait bien sa peinture et avait lu les très belles lettres écrites à son frère Théo. Vincent van Gogh ne se prenait pas pour ce qu'il n'était pas, il était « peintre, rien que peintre », son affaire c'était la couleur et le dessin, rien d'autre.
Quant à sa supposée folie… évidement, ce sujet touchait personnellement Artaud et il n'est plus question que de très loin de van Gogh. Ce qu'il écrit sur le docteur Gachet ou sur Theo van Gogh n'est que l'expression de sa propre rancoeur vis-à-vis de la psychiatrie et de sa famille. Qui était Artaud ? Quels sont les faits ? Un drogué, un exalté, un être souffrant profondément, mais qui n'a jamais fait de mal à personne et qui pourtant fut interné neuf ans dans un asile et victime d'électrochocs et de toute la « cure » de la psychiatrie de l'époque. Qui supporterait ça ? Quel être normalement constitué ne se révolterait pas contre cet enfermement et ces tortures, qui n'ont été, Artaud a raison, que de la vengeance, de la peur, de la volonté de faire taire. « Un aliéné est aussi un homme que la société n'a pas voulu entendre et qu'elle a voulu empêcher d'émettre d'insupportables vérités. » D'insupportables vérités… Celles d'un homme qui a connu « les plus épouvantables états de l'angoisse et de la suffocation humaines. » La société ne voudra jamais entendre ces vérités, car effectivement elles la mettent en péril. Les gens sociables balaieront toujours d'un revers de la main les écrits d'Artaud, avec le dédain des hommes qui savent qu'ils peuvent se rassurer entre eux, que ça ne vaut pas le coup de s'arrêter, qu'ils savent tout ça et que, de toute façon, ce sont les écrits d'un fou. La belle affaire ! Mais Artaud était lucide, c'est tous ces gens qui ont suicidé Van Gogh, qui ont enfermé Artaud et tant d'autres. La bonne société comme on dit, celle-là même qui fait preuve de pitié de temps en temps, toujours pour se rassurer sur elle-même, pour ne pas s'avouer ce qu'elle est vraiment : un monstre.
Artaud ne fait de toute façon rien pour contredire ces gens, il emploie un magnifique vocabulaire, plein d'images, une langue d'exalté. Forcément, ce qu'il dit ressemble à des paroles de paranoïaques, comment pourrait-il en être autrement ? Mais il est lucide, incroyablement lucide, même sur sa folie, sur ses histoires d'envoûtements et de magie, il sait que tout ça n'est qu'une lutte éperdue contre le hasard : « C'est la pente des hautes natures, toujours d'un cran au-dessus du réel, de tout expliquer par la mauvaise conscience, de croire que rien jamais n'est dû au hasard et que tout ce qui arrive de mal arrive par l'effet d'une mauvaise volonté consciente, intelligente et concertée. »
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