Reste à résoudre un dilemme: étant donné que les Espagnols nourrissent un double complexe vis à vis de leurs voisins, qu'ils se croient supérieurs aux Portugais mais inférieurs aux Français, et qu'ils se tiennent entre les deux, ce qui est parfois étrange dans la vie de tous les jours, comment vais-je m'en sortir?
C'est bête mais en le quittant toujours attablé et se saisissant enfin de son journal, alors que nous nous adressons un léger signe d'au revoir avec la certitude partagée de ne jamais se revoir, je ne suis plus ni français ni espagnol, ni juif ni séfarade, car il y a des moments dans la vie où il faut savoir se mettre en congé. Tous ces moi se placent naturellement à distance. Il n'en reste plus qu'un. Le seul vraiment concerné. Juste un père de famille.
Il a dû s'en passer des choses depuis le 31 juillet 1492. Inutile de partir en quête de la maison familiale ni même du cimetière, encore moins des archives, cet excitant de l'imagination selon Michelet. Il me suffit de savoir que notre mémoire précède notre naissance.
« Revenir? Reviens celui qui sent,
Après de longues années, après un long voyage,
La fatigue du chemin et la soif
De sa terre, de sa maison, de ses amis,
De l’amour fidèle qui l’attendra au retour.
Mas toi? Revenir? Ne pense pas rentrer,
Mais rester libre désormais,
Disponible pour toujours , jeune ou vieux ,
Sans fils qui te cherche , comme Ulysse,
Sans Ithaque qui attende et sans Pénélope .
Continue , continue devant toi et ne rentre pas,
Fidèle jusqu’au bout du chemin et de ta vie,
Ne regrette pas un destin plus facile,
Tes pieds sur la terre jamais foulée ,
Tes yeux devant ce qui n’a jamais été vu ».
Luis Cernuda.« Pélerin. ».
« Au fond, peut- être que si nos sociétés consacraient à l’oubli du passé une part infime de l’énergie qu’elles déploient à se souvenir, nous nous en porterions mieux. »
« Ma décision est prise: je rentre au pays , même si, je l’avoue, Cinq Siècles après , une légère hésitation subsiste.
Le roi me propos de rentrer. Cela n’arrive pas souvent dans une vie d’homme.
Pas de quoi faire oublier l’INQUISITION mais c’est gentil quand même .
On court toujours un risque à laisser affleurer les nervures de son passé » ....
P. 129 On naît trois fois : là où on a été conçu, là où on a vu le jour et là où nous a saisi un événement qui engage radicalement notre vie. On meurt trois fois : lorsqu’on ferme les yeux à jamais, lorsque plus personne ne se souvient de nous et lorsque notre mémoire est falsifiée.
On meurt trois fois: lorsqu'on ferme les yeux à jamais, lorsque plus personne ne se souvient de nous et lorsque notre mémoire est falsifiée.
Histoire juive belge (oui, c'est possible). Le jour de la conscription dans la cour d'une caserne de Bruxelles, un gradé fait sonner le rassemblement. Il s'adresse aux nouvelles recrues: "Les Wallons, un pas sur la gauche !". Tout un groupe se déplace. "Les Flamands, un pas à droite !". Tout un groupe se déplace. Restent quatre pékins isolés au milieu, une kippa sur la tête. Ils se concertent, en délèguent un qui s'avance timidement vers le gradé: "Pardon chef, mais... et nous les Belges, on se met où ?".
"Je quitte la France.
- Et tu vas où ?
- Je rentre chez moi, au pays.
- Au Maroc.
- Mais non, chez moi, en Espagne. Je rentre.
- J'ignorais. Mais quand l'as-tu quitté ?
- En 1492, mais à l'insu de mon plein gré."