Elle ne peut vivre longtemps avec les autres. Olga, c'est tout le contraire ! Elle ne peut vivre longtemps sans les autres. Sans le monde. Alors voilà : On ne peut désirer le monde sans être le monde. Mais comment être le monde ? Est-il possible de le devenir ?
On laisse souvent pour les autres ou soi-même une ardoise de regrets, aussitôt reprise ou effacée par la perspective d'une nouvelle rencontre.
Suzanne tient le verre d'eau dans le creux de ses mains en forme de pétales. Avec la moiteur quasi irrespirable de l'air, cette chape de nuages chauffés à blanc par un soleil omniprésent bien qu'invisible, on dirait qu'elle rêverait d'y tremper ses lèvres. Pourtant, quelque chose la retient. De l'ordre de la timidité ou de la pudeur. Boire devant un étranger paraît l'affaire la plus compliquée du monde. Une sorte de mise à nu. D'acte puissamment érotique.
[...]dans ce dédale de bourgeonnements et de ronces qu𠆞st lolescence. [...]J𠆚i eu vingt ans au meilleur passage qui soit. Le passage d’un siècle à un autre. [...] je ne veux pas être unique. Je suis comme toutes les femmes, je veux être multiple. [...] On se contente toujours de soi et on ne se satisfait jamais des autres.
Cette blessure émergeait comme un monolithe. Une roche immense. Qui détenait en son sein une fente étroite et lisse où se glisser et se cacher. Un abri pour soi seul. À l’écart des épreuves, des sollicitations, et du grand chambard des rues parisiennes.
Comme une blessure qui serait un refuge à tout ce qui blesse.
Plus tard, réfugié en Suisse, il rencontra une femme qui l’apaisa et balaya tous les tourments et les errances de cette période d’avant-guerre, mais jamais cependant il ne réussit à refermer entièrement la blessure de ses amours antérieures.
Elle lui parla comme on s’adresse à un tout petit enfant dont on soigne le caprice :
— Avouez que vous n’avez jamais eu réellement l’envie de vous battre…
— J’ai eu réellement envie de vous, dit-il, se compromettant dans un aveu trop franc pour ne pas être désespéré.
— Vous n’avez pas réellement envie de vous battre pour moi.
Il ne sut pas répondre à ça. Il pensa que les êtres qui ne résistaient pas à l’attraction amoureuse et décidaient de la vivre tout de suite, violemment tout de suite, n’avaient pas besoin de se poser ce genre de questions.
Ça le rendit triste. Julia retournait au brouillard d’où elle était venue. D’autres l’éclaireraient mieux que lui.
C’est toujours celui qui se prélasse et n’en fout pas une rame qui vient poser sa patte et dévore celui qui travaille et construit patiemment son œuvre.
Il sentit son corps frêle et chaud balancer contre lui. Son visage qui pointait sous le feu aigrelet des réverbères du quartier. Il eut envie de se saisir de ce visage. De le prendre dans ses mains. De le tirer à lui. De l’emporter dans un rêve en mouvement.
Seule la nuit venait nuancer le gris. Les reflets dans les flaques de pluie étaient des toiles peintes accrochées sous les pieds des passants. La lumière aux fenêtres éclairées, vues d’en bas, aussi dure, stable, et envoûtante que celle des étoiles dans le ciel.