"Quel âge avez-vous ?" La question est encore plus gênante dans une langue comme l'anglais où c'est l'auxiliaire "être" qui lui sert de relais : "How old are you ?" Et plus encore la réponse: "I am..." Suis-je vraiment ces quarante, cinquante, soixante années ou plus par lesquelles je me trouve ainsi condamné à me définir ? En un sens, oui; et ce sont les autres, la société et ses règles, qui décident de ce sens. Des limites d'âge sont instaurées en tous domaines...(p.37)
Il faut savoir lire et relire ; la relation avec un texte est vivante. Un livre qui ne vieillit pas, c'est un livre dont le lecteur peut toujours attendre quelque chose, où il peut toujours découvrir quelque chose, un livre qui lui démontre ainsi qu'il est toujours vivant, que leurs sorts sont liés et qu'ils sont unis "à la vie, à la mort".
Comme ethnologue et voyageur, je n'ai cessé de rencontrer des vieillards dont j'ai pu parfois vérifier qu'ils étaient plus jeunes que moi alors même que je n'étais pas encore très vieux. En Afrique noire, atteindre un âge relativement avancé est un signe de force. La première fois qu'on m'a appelé "Vieux !" en côte d'Ivoire, je n'avais pas quarante ans et j'ai été flatté de cette marque de considération. Tout le contraire de la consternation furibarde qui m'est tombée dessus, beaucoup plus tard, le jour où un malheureux jeune homme, dans le métro,a cru bon de faire mine de se lever pour me céder sa place. (p.27)
Le temps est une liberté, l'âge une contrainte. Le chat, apparemment, ne connaît pas cette contrainte.
L'autobiographie, en littérature, relève sans doute moins de la tentation narcissique de se raconter que d'une volonté de s'arrimer dans le temps par quelques témoignages irrécusables, un peu comme ces touristes qui semblent plus pressés de photographier les paysages ou les monuments qu'on propose à leur curiosité que de les regarder vraiment. Le plus important, étant donné le caractère fugace de l'instant et du moindre évènement, c'est d'attendre de pouvoir revoir pour pouvoir y croire...(p.49)
Suis-je devenu un autre une fois mis à la retraite ? N'ai-je plus rien à dire à partir de soixante-cinq, soixante-dix ou quatre-vingt-ans ? Problème de la liberté, d'autant plus que, l'espérance de vie augmentant, le nombre des mises hors circuit risque de s'accroître.
Danger de ces règles: quand va-t-on interdire les vieillards de vote ? (p.38-39)
Plus généralement, il faut toujours admettre que, malgré l'allongement moyen de la durée de la vie, on ne devient pas vieux au même âge selon son origine sociale et son type d'activité. Le rapport à l'âge traduit l'inégalité sociale. (p.26)
... ce constat comporte une part de cruauté, il faut donc bien l'admettre : tout le monde meurt jeune.