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Critique de tilly


"Invisible" est le titre énigmatique et étrange du dernier roman de Paul Auster.
Comme est étrange et formidablement romanesque, l'attirance morbide des personnages du roman pour un monstre séducteur et indéchiffrable, véritable Deus ex machina.
Invisible raconte comment sur quarante années, cet ogre (fantasmé ?) va faire se croiser des deux côtés de l'Atlantique entre New-York et Paris, les destins de ceux qui tenteront vainement d'échapper à son influence fatale.

En bref, mes mots-clé : brillant, fascinant, intriguant et passionnant, pas ennuyeux du tout
(auteur barbant : c'est l'a priori que j'avais après avoir “lâché” Auster dans les années 1990... et jamais "retenté" jusqu'ici !)

Dès le début de la deuxième partie du roman (page 75), le lecteur comprend que la première partie qu'il vient de lire, c'est aussi... du roman ! La mise en abyme ne fait que commencer. La construction de Invisible se complexifie au fur et à mesure avec l'emboîtement des récits et les changements de perspective. Ainsi de suite. A la fin il deviendra impossible de distinguer ce qui fait partie de l'imaginaire d'un personnage, d'un autre, de celui du lecteur, ou de Paul Auster. Vertiges. Plaisirs.

Première partie, 1967, New-York
Le narrateur est Adam Walker, étudiant en littérature, passionné de poésie classique. Il raconte à la première personne les circonstances de sa chute dans les rais de Rudolph Born et de sa compagne Margot : comment il est attiré, manipulé, comment il se débat, et finalement succombe.

“Born m'avait eu. Il m'avait fait voir en moi quelque chose qui me remplissait de dégoût et, pour la première fois de ma vie, je compris ce que c'était de haïr quelqu'un. Jamais je ne pourrais lui pardonner - et jamais, je ne pourrais me pardonner, à moi.”

Deuxième partie, 2007, New-York
Changement de narrateur : James (Jim), est un auteur à succès qui a perdu de vue Adam depuis leurs années communes en faculté. Adam est l'initiateur d'une correspondance avec Jim. Il lui fait lire le début d'un roman qu'il est en train d'écrire (c'est la première partie que le lecteur vient de lire, “Printemps”). Après avoir prévenu Jim que le second chapitre pourrait le choquer, Adam finit par lui envoyer une suite à ses mémoires de l'année 1967.

Dans ce texte intitulé “Eté”, Adam écrit à la seconde personne (il s'adresse à lui-même, tutoiement). On retrouve Adam, Margot, le temps d'un été poisseux à Brooklyn. On fait connaissance avec Gwyn la soeur d'Adam. On apprend leur histoire familiale douloureuse. Born est absent, disparu, invisible, mais son influence maléfique sur Adam est pesante. le désarroi dans lequel il plonge peut expliquer ses débordements affectifs et sensuels avec Margot d'abord, et avec Gwyn, sa soeur, ensuite.

Cette partie du roman, étouffante et belle, parfois torride m'a rappelé l'ambiance du roman Ada de Nabokov.

Troisième partie, 2007, Californie
Jim n'aura pas l'occasion de discuter avec Adam de son projet littéraire. Adam meurt. Avant de disparaître il a confié son manuscrit inachevé à Jim et le laisse libre de rédiger le chapitre manquant “Automne” à partir de notes très détaillées.
 Jim écrit à la troisième personne et au présent ce dernier volet des mémoires de l'année 1967 d'Adam Walker.

Venu à Paris à l'automne 1967 pour y poursuivre ses études, Adam a retrouvé Margot, mais aussi, malencontreusement, son âme damnée : Rudolph Born. Toujours inquiétant et machiavélique, Born met en présence Adam et deux françaises : Hélène Juin et sa fille Cécile, lycéenne.

La première partie "Printemps" s'achevait sur la disparition de Born, quittant précipitamment les Etats-Unis pour échapper à une enquête policière. A la fin d'"Automne", c'est au tour d'Adam de disparaître brutalement de la vie de Cécile, expulsé du territoire français suite à ce qui ressemble à un coup monté par la police. Mystères et symétries.

Quatrième partie, 2007, Paris
A la demande de Gwyn, la soeur d'Adam, Jim reprend le manuscrit d'Adam (Printemps, Eté, Automne), l'adapte, et le publie sous son propre nom.
Plus tard, à Paris, Jim retrouve Cécile qui lui confie à son tour une partie de son journal intime. Elle y raconte son face à face avec Born, en 2002, pour une ultime rencontre. Cécile la française est la seule qui aura eu le courage d'affronter Born pour l'amener au bout de quarante ans à se trahir. Elle le punit en ne cédant pas à son ultime tyrannie. Elle est ainsi celle qui venge Adam.

Sur le titre...
Invisible ? Visible ? Je me rends cet après-midi au Salon du Livre, où j'espère, Paul Auster sera... visible !
Se rendre visible : c'est (aussi) la leçon d'écriture que Paul Auster fait donner au milieu de son roman, par un auteur (Jim) à un autre auteur (Adam).

"En parlant de moi-même à la première personne je m'étais étouffé, rendu invisible, mis dans l'impossibilité de trouver ce que je cherchais. Il fallait que je me sépare de moi-même, que je libère un espace entre moi et mon sujet (moi-même en l'occurrence) [...]. Je devient il, et la distance créée par ce léger déplacement me permit d'achever le livre."

Paul Auster est un formidable virtuose des déplacements romanesques !
Dans Invisible cela ne nuit en rien, au contraire, au plaisir du lecteur.
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