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Critique de Lamifranz


On connaît bien le Marcel Aymé romancier et nouvelliste, l'auteur entre autres de « La jument verte » et du « Passe-muraille ». On admire sa verve, son esprit sarcastique et moqueur, ainsi que son sens d'un merveilleux fantastique quotidien… On connaît moins (sinon par les adaptations cinématographiques qui en ont été tirées) les pièces de théâtre de cet auteur unique. Faute d'être reprises sur les planches, et de renouer avec le succès, elles pourraient faire l'objet de bons téléfilms (avis aux téléastes en mal d'inspiration). Ce sont des pièces intemporelles sur des sujets toujours aussi contemporains. « La tête des autres » est un réquisitoire grinçant contre la peine de mort (entre autres choses), « Lucienne et le boucher » montre que l'appel de la chair (au sens propre pour le boucher) dépasse les classes sociales, quant à « Clérambard » …
« Clérambard » est un chef d'oeuvre. Pour situer cette pièce dans l'inspiration générale de Marcel Aymé, disons que c'est un exemple assez complet de ce que propose l'auteur : il y a de la critique sociale, du merveilleux à la fois poétique et quotidien, des personnages hauts en couleur (proches de la caricature, mais c'est voulu), et toujours une langue qui n'est pas moins belle lorsqu'elle est parlée que lorsqu'elle est écrite.
Hector de Clérambard est un ancien noble, qui végète dans son hôtel particulier en ruine, où, pour survivre, il oblige sa famille (femme, fils et belle-mère) à tricoter des chandails qu'il vend ensuite à des clients potentiels. Tyran domestique, il est aussi dur avec les gens qu'avec les animaux. Il s'apprête à marier son fils avec l'aînée des filles du notaire Galuchon (roturier, mais riche). Quand le curé vient pour négocier, Clérambard, par jeu, tue son chien. C'est alors que saint François d'Assise lui apparaît, lui ouvre les yeux, et en partant, ressuscite le chien. Saisi par cette apparition qu'il est seul à avoir vu, Clérambard s'amende et devient un modèle de vertu. Frappé par la grâce, il impose à sa famille la pauvreté, la mendicité et l'humilité, sources de bonheur inépuisables. Il veut marier son fils à une prostituée notoire, la Langouste, au détriment du mariage prévu auparavant. Converti à l'amour de son prochain (qui inclut maintenant les animaux et en particulier les araignées), Clérambard vend son hôtel et part sur les routes dans une roulotte aménagée. C'est alors que saint François fait une nouvelle apparition, et cette fois-ci tout le monde le voit, sauf le curé. Mais, pour ne pas perdre la face, il trouvera bien une explication…
Pour du farfelu, c'est du farfelu, on est proche de la farce grotesque, mais pas tout à fait, parce que les personnages de Marcel Aymé, tout caricaturaux qu'ils soient – ou qu'ils paraissent – ont toujours un fond d'humanité qui nous rapproche d'eux. Marcel Aymé, même quand il s'aventure dans le merveilleux, reste dans le quotidien. C'est ce contraste entre la réalité et le fantastique qui fait naître à la fois le comique de cette pièce, et sa profondeur. Non pas qu'il y ait un message, encore moins une morale, mais un clin d'oeil au spectateur pour lui dire : tout ceci n'est qu'un conte. Pas moral (ici pas de chat perché, tous les chats sont zigouillés au premier acte), pas tout à fait immoral non plus si on y songe. C'est une fable sur le bien et le mal, sur la tolérance et l'intolérance, la foi et la crédulité, sur le bon sens et la folie, sur le conformisme et l'anticonformisme… Un monument de fantaisie irrévérencieuse et réjouissante.
A voir au théâtre si on en a l'occasion. Sinon, l'excellent film d'Yves Robert (1969) avec Philippe Noiret dans le rôle-titre, est incontournable.


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