AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Renod


J'ai lu ce recueil d'Isaac Babel une semaine après le récit « les Oeufs fatidiques » de Boulgakov. Ces deux oeuvres ont un point commun. Publiées en 1925 et 1926, elles ont été violemment attaquées par les critiques d'obédience bolchévique et ont pourtant reçu le soutien de l'icône littéraire de la jeune Russie soviétique, Maxime Gorki. le camarade Gorki semble avoir eu une influence importante pendant ces terribles années, il a notamment appuyé l'exil Zamiatine. Je ne sais pas s'il existe une étude sur le milieu littéraire qui a pullulé dans cette période comprise entre la prise du pouvoir par les bolchéviques et les débuts de la répression et du « réalisme socialiste ».

Isaac Babel a suivi la Première Armée de cavalerie pendant la campagne de Pologne de 1920 en qualité de rédacteur du journal de propagande Le Cavalier rouge. L'auteur se permet d'ailleurs d'introduire un « placement de produit » pour ce journal puisqu'il fait dire à un jeune soldat dans un récit: « notre cher et impitoyable journal, que n'importe quel combattant de première ligne désire lire, après ça, il sabre la vile caste des gentilshommes (…) ». Il a été le témoin durant cinq mois des combats opposant Russes et Polonais en Volhynie et en Galicie (frontière occidentale de l'Ukraine). Les récits ont d'abord été publiés dans des revues d'avant-garde avant d'être éditées en recueil en 1926. Qu'est-ce que les critiques ont pu reprocher à Isaac Babel ? Pourquoi Semion Boudionny, l'un des principaux chefs de la cavalerie, s'en est-il pris à ce livre avec tant de virulence ? Il est reproché à Babel d'avoir composé une oeuvre littéraire dans la plus pure tradition russe, dépourvue d'idéologie, et d'avoir représenté la guerre dans toute sa cruauté. Avec un tel titre, les critiques attendaient plutôt une épopée mythique à la gloire des vaillants combattants de l'Armée rouge luttant contre des nobles réactionnaires et pogromistes de Pologne. Si on écarte l'utilisation des chemins de fer et des mitrailleuses, la guerre décrite par Babel semble archaïque. Il est surtout question de folklore cosaque, de charges de cavalerie, de bataillons d'infanterie composés de moujiks sans formation qui se partagent un fusil pour trois. Les cosaques sont peu concernés par l'idéologie communiste, ils ne semblent soumis qu'à leurs traditions ancestrales et à leurs instincts. Ils accordent une importance primordiale à leurs chevaux, qu'ils considèrent comme un membre de leur famille et pour lesquels des confits peuvent naître. Les soldats saccagent les églises et pillent les maisons. Même dans le camp de la révolution, les juifs sont massacrés, je peux citer ce passage : « Alors Koudria (…) lui prit la tête et se la glissa sous l'aisselle. le Juif se tut et écarta les jambes. Koudria, de la main droite, dégaina son poignard et, avec précaution, égorgea le vieux, sans s'éclabousser »... Les prisonniers Polonais sont assassinés sans procès. de nombreuses scènes de viols sont relatées. Il est souvent question de vengeances familiales. Autre tradition russe, les soldats cantonnent « chez l'habitant », dorment sur des paillasses humides et exigent d'être nourris pars leurs hôtes, même s'il faut pour cela dégainer son revolver. Les intellectuels sont très mal vus au sein des troupes. On croise dans les récits des simulateurs qui veulent se faire réformer, des fous, des trafiquants… Les récits se passent principalement sur l'arrière-front, dans les moments qui précèdent ou suivent les combats ou pendant les fuites et replis face aux avancées de l'adversaire. Pour ce qui est de la politique.. c'est succinct. Il y a bien dans un passage un meeting de propagande mais il se tient devant des « petit-bourgeois perplexes » et des « juifs détroussés ». Et enfin, le comble de l'insolence, Babel ne cite la présence de Boudionny qu'à deux ou trois reprises et il en dresse un portrait assez peu flatteur.

J'ai apprécié la lecture de « la Cavalerie rouge » même si j'avoue avoir parfois buté sur le style de certains passages et avoir mis du temps à recomposer cette mosaïque de récits très brefs. le recueil est d'une grande qualité littéraire. Les trente-quatre récits (dans l'édition Folio) partagent entre eux des thèmes et des motifs. L'auteur évoque à plusieurs reprises les églises saccagées, riches de tableaux troublants , et les quartiers juifs, dépeuplés, où se disputent encore quelques hassidim. Babel décrit la nature avec beaucoup de lyrisme, il écrit par exemple : « La paisible et sinueuse Volhyne s'écarte de nous dans la brume nacrée des boulaies, se coule entre des coteaux diaprés et, les bras las, s'entortille en d'inextricables fourrés de houblon ». Les astres (lune, étoiles) sont omniprésents. Les textes sont de tout genre : il y a un narrateur récurrent, Lioutov, le double de Babel, mais parfois, l'auteur restitue un témoignage, la lettre d'un fils à sa mère , le récit d'une histoire. Babel est fasciné par la cosaquerie comme Gogol et Tolstoï avant lui. le recueil a en plus de ses qualités littéraires la valeur d'un témoignage historique sur un conflit assez peu connu.
Commenter  J’apprécie          220



Ont apprécié cette critique (20)voir plus




{* *}